Entreprendre avec l’humilité du grimpeur aguerri
Entreprendre et s’engager envers ses ambitions est une drôle d’aventure. Cela demande un courage sans bornes pour saisir les opportunités et prendre de nouvelles responsabilités au fil du parcours, mais aussi une discipline de fer pour créer les conditions nécessaires à la créativité et à l’innovation. Récemment, j’ai eu la chance d’interviewer une femme extraordinaire, et une amie: Claudia Dutil. Claudia est une pharmacienne accomplie qui a notamment travaillé dans le Grand Nord et qui a foulé le sol de 35 pays sur 7 continents avec son backpack.
Dans son récit — qui n’est pas celui de l’entrepreneur —, elle nous a fait part de l’insouciance de ses débuts, de l’absence complète de repères quand elle a amorcé la première ascension, de nombreuses erreurs de débutante, de la peur et de la douleur qui ont ponctué les premières étapes, puis du sentiment de confiance grandissant au fur et à mesure qu’elle apprivoisait les nombreux défis qui se présentaient les uns après les autres. Plus Claudia racontait son périple, plus je faisais des parallèles évidents entre la découverte de sa passion pour l’aventure et le hiking en autonomie et celle d’entreprendre. Pas seulement celle des entrepreneurs, mais aussi celle des personnes qui luttent vaillamment pour transformer leur organisation et créer des équipes soudées et des milieux de travail stimulants.
Claudia nous a aussi confié que, même si elle a eu peur plus d’une fois, elle n’a jamais eu à rebrousser chemin, ce qu’elle a appelé son «eject point». En effet, aujourd’hui, armée de sa compétence redoutable de grimpeuse aguerrie, elle sait structurer adéquatement ses défis en fonction de ses capacités, des opportunités et des dangers du terrain qu’elle compte parcourir. Elle dit aussi planifier des arrêts, des checkpoints, où elle effectuera une évaluation afin de choisir de poursuivre ou de s’éjecter, si les conditions n’y sont plus et que sa vie pouvait être en péril.
Et là, LA question est venue d’un des entrepreneurs présents avec nous: «Si tu es de plus en plus compétente et confiante en tes moyens pour t’en sortir, crois-tu que tu saurais reconnaître les conditions qui justifieraient un abandon?». Claudia a été humble et vraie en répondant qu’elle ne pouvait en être certaine. Soyons honnêtes: ne le sommes-nous pas tous?
Devant l’adversité grandissante, comment reconnaître si c’est le moment de corriger le tir, de se relever encore après le énième coup dur ou de capituler et d’accepter la défaite? En 2007, ma réponse fougueuse et inexpérimentée aurait été, sans hésitation: endure et relève-toi! On n’abandonne jamais.
«The Show must go on?» Peut-être
Quinze ans plus tard, si, parfois, cette formidable force de caractère (nécessaire à toute amorce de parcours ambitieux) me manque, je sais que je ne suis pas invincible et que j’ai besoin de moduler mes défis: leur envergure, les ressources, les attentes, leur rythme, les pauses. Car entreprendre n’est pas l’affaire d’un match, d’un marathon… il n’y a pas de fil d’arrivée.
La tyrannie et la beauté coexistent brillamment dans cette chanson magnifique de Queen, The Show Must Go On, et la voix de Freddie Mercury est criante de vérité. Elle m’accompagne souvent dans mes propres checkpoints, ces moments, dans l’année, où je prends un temps d’arrêt pour évaluer les conditions dans lesquelles je me trouve, pour valider l’inventaire de mes ressources, pour étudier stratégiquement les opportunités et les dangers de l’environnement, puis les mettre en parallèle avec mes repères internes pas toujours en adéquation avec ce qui se passe.
Enfin, munie de ces informations, je suis en mesure de faire des choix éclairés et de prendre une décision, pas nécessairement parfaite, mais honnête et avisée. Comme Claudia, je demeure lucide: il m’est impossible de savoir si je triompherai ou si je périrai. Cependant, au terme, je saurai faire honneur à Roosevelt et j’aurai lutté vaillamment pour ce en quoi je crois. Et ça, ça me suffit.