Enquête de harcèlement au travail

Comme nous l’avons vu dans notre article sur la Prévention des conflits et du harcèlement en milieu de travail, l’obligation d’un employeur en matière de prévention quant au harcèlement au travail varie selon qu’il s’agisse d’une entreprise de juridiction fédérale (Code canadien du travail) ou de juridiction provinciale (Loi sur les normes du travail). Malgré les efforts de prévention, il arrivera peut-être que vous ayez à gérer ou à vivre une plainte de harcèlement. La loi désire protéger les employés de « toutes formes de harcèlement ». En d’autres termes, qu’il s’agisse de harcèlement moral (ou harcèlement psychologique), de harcèlement sexuel, de cyberharcèlement ou de violences physiques, tous les types d’abus de pouvoir, d’oppression ou de persécution sont pris en compte dans la recherche d’un « milieu de travail sain et exempt de toute forme de harcèlement ».

Une plainte de harcèlement est une accusation grave. Personne ne souhaite se retrouver dans cette situation, pas plus la personne plaignante – potentiellement victime d’événements qui ont eu des conséquences néfastes sur sa santé, sur sa vie professionnelle et privée – que la personne mise en cause qui se voit accusée et qui devra, elle aussi, gérer les potentielles répercussions sur sa vie professionnelle et privée (certaines personnes restant sur le préjugé qu’il « n’y a pas de fumée sans feu »).

Diligence!

Ce que vous devez retenir est qu’il vous faut agir avec diligence. Votre rapidité d’actions empêchera une situation de se détériorer davantage et vous démontrerez votre bonne foi dans votre souci de protection de vos employés lors d’une telle situation. Mais attention, rapidité ne signifie pas précipitation.

Cet article ne remplacera pas l’expertise nécessaire pour mener à bien une enquête, mais il vous aidera à en comprendre le processus à haut niveau si vous aviez à traiter une plainte ou à la vivre comme étant une partie impliquée.

Que faire lorsque vous recevez une plainte en matière de harcèlement au travail?

Vous devez être rapide et faire plusieurs choses simultanément tout en conservant la confidentialité de la plainte :

  • Relire ce que dit votre politique et procédure en la matière, si votre entreprise en possède une ;
  • Informer la personne mise en cause d’une plainte déposée à son endroit ;
  • Faire cesser la conduite alléguée en instaurant une mesure transitoire au besoin ;
  • Étudier la recevabilité de la plainte. De l’étude de cette recevabilité de la plainte naîtra votre obligation de faire enquête et donc, d’éventuellement nommer un enquêteur au dossier et de lui confier officiellement le mandat d’enquêter ;
  • Préparer un calendrier des rencontres et définir le lieu où elles se tiendront. Le lieu devrait permettre de garantir la confidentialité des rencontres;
  • Important à prendre en considération : si les comportements reprochés se rapportent au Code criminel (agression sexuelle, par exemple), il faudrait que les autorités compétentes soient informées, car l’enquête relèverait alors de leur compétence.

Plus précisément, en quoi consistent ces étapes?

Politique et procédure en matière de harcèlement au travail

  • Si votre compagnie est outillée d’une Politique en matière de harcèlement au travail, il est temps de la relire. Encore mieux, si cette politique prévoit le mécanisme d’une plainte, regardez quelles sont les étapes prévues dans votre organisation et si elles sont respectées. En effet, vous pourriez vous faire reprocher de ne pas les avoir suivies. Par exemple, la procédure prévoit peut-être qu’une plainte peut d’abord être traitée de manière informelle selon la nature des allégations. Ou encore qu’une plainte doit être rédigée par écrit et envoyée à une personne ou à un service en particulier. Certaines organisations syndiquées ont aussi un mécanisme conjoint avec le ou les syndicats présents dans la compagnie pour gérer les enquêtes en matière de harcèlement. Il ne faudrait donc pas que vous omettiez des étapes.

Pour les entreprises qui ne possèdent pas une telle politique, peut-être que cet article vous fera réfléchir à sa potentielle mise en place.

Faire cesser le ou les comportements inappropriés; instaurer la mesure transitoire

  • Informer la partie mise en cause. Il est un principe de base qu’une personne accusée doit en avoir connaissance et pouvoir se défendre. La personne mise en cause pourrait vouloir chercher conseils auprès de son syndicat ou d’un avocat.
  • Lorsqu’une plainte en harcèlement est déposée, il est de la responsabilité de l’employeur, ou de son représentant, de faire cesser le ou les comportements inappropriés. Évidemment, le tout doit être fait dans les meilleurs délais (comprendre : tout de suite). Comment ? En instaurant, par exemple, une mesure transitoire. Celle-ci permet de protéger autant la personne plaignante que celle mise en cause. Cette mesure évite que la situation dégénère suite au dépôt de la plainte. Il arrive que la personne qui porte plainte soit en arrêt de travail à ce moment-là. La mesure transitoire est donc mise en place d’elle-même puisque la personne plaignante n’est pas au travail et qu’elle ne le sera probablement pas avant que l’enquête soit terminée. Mais attention, une mesure transitoire ne doit pas être perçue comme une reconnaissance de culpabilité. La procédure doit être bien expliquée aux parties pour éviter tous malentendus.

La mesure transitoire pourrait aussi consister à :

– affecter temporairement la personne plaignante ou celle mise en cause dans un autre département lorsque cela est possible ;

– si la plainte découle d’une relation verticale (employé ou employée versus son ou sa gestionnaire), il peut être envisagé que la personne relève temporairement d’un ou d’une autre gestionnaire tout en restant à son poste ;

– si les deux premières solutions ne sont pas envisageables, vous pourriez aussi envisager de suspendre avec solde pour fin d’enquête la personne plaignante ou la personne mise en cause en prenant soin d’expliquer à la partie qui sera suspendue momentanément qu’il ne s’agit pas d’une sanction ou d’une reconnaissance d’une quelconque conclusion hâtive, mais bien d’un mécanisme de protection pour toutes les parties ;

– Même chose si la plainte découlait d’une relation horizontale (employés sans lien de hiérarchie). Il serait possible de considérer de transférer temporairement une des deux personnes dans un autre service ou selon les enjeux, de suspendre avec solde les deux parties pour fin d’enquête. Là encore, la démarche devra être bien expliquée pour éviter les perceptions négatives.

Quelle que soit la mesure transitoire retenue, il est important de tout faire pour maintenir la réputation des personnes. Cette recherche de préservation de la réputation des personnes et de la confidentialité de la plainte peut favoriser le choix de la mesure transitoire.

Si vous décidiez de ne pas mettre en place de mesure transitoire, il faudrait minimalement que vous instauriez un mécanisme de vigie pour vous assurer que la personne plaignante ne subisse pas de représailles suite au dépôt de sa plainte et que le climat de travail est sain pour toutes les personnes impliquées ainsi que pour leurs collègues.

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La recevabilité de la plainte

  • Idéalement vous avez, lors de la connaissance de la plainte, demandé à la personne plaignante de vous remettre une plainte par écrit. Cette plainte devrait comporter toutes les allégations faites contre la personne mise en cause. C’est en analysant cette plainte écrite que vous serez en mesure de déterminer sa recevabilité. La recevabilité de la plainte devrait être étudiée par une personne du service des ressources humaines ou par la personne identifiée selon la politique en la matière, s’il en existe une.

Comme pour l’enquête, la recevabilité de la plainte devrait être étudiée par une personne compétente en la matière.

Qu’est-ce que la recevabilité d’une plainte?

Pour être capable de déterminer si une plainte est recevable et qu’elle mérite enquête, il faut d’abord rappeler la définition de ce qu’est du harcèlement en milieu de travail :

Le harcèlement au travail est défini comme étant :

  • Une conduite vexatoire ;
  • Qui se manifeste de façon répétitive (attention cependant, un seul événement pourrait être suffisant si celui-ci est jugé suffisamment grave et a les mêmes conséquences qu’une conduite répétée) ;
  • De manière hostile ou non désirée ;
  • Qui porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique du salarié ;
  • Qui entraîne un milieu de travail néfaste ou, dans le cas de la conduite grave unique, un effet nocif continu.

Ces cinq éléments doivent être présents pour déterminer qu’il s’agit de harcèlement en milieu de travail.

Pour être capable de déterminer si une plainte est recevable et qu’elle mérite enquête, il faut également rappeler ce qui ne constitue pas du harcèlement, par exemple :

  • La gestion de la non-performance,
  • La gestion disciplinaire.

Mais attention, même si ces exemples relèvent d’un droit de gestion, il faut que l’exercice de ce droit ne soit pas fait de façon abusive ou discriminatoire.

L’analyse de la recevabilité de la plainte devrait donc statuer si les allégations faites s’avèrent être réelles et fondées et si elles répondent à la définition de harcèlement. Souvent, même si l’analyse de la recevabilité de la plainte n’est pas tranchée, les employeurs préféreront faire enquête afin de s’assurer de faire la lumière sur ce qui est allégué et ainsi répondre à leurs obligations.

Après l’analyse de la recevabilité de la plainte, le choix d’un enquêteur

Si vous en venez à la conclusion que vous souhaitez qu’une enquête soit menée, il vous faudra nommer un enquêteur. L’enquêteur pourrait provenir de l’interne comme de l’externe. Il lui faudra, dans tous les cas, posséder les qualités suivantes :

  • Être compétent pour mener l’enquête. On entend par compétence une personne qui a une formation pertinente en la matière et qui a appris à gérer ce genre de dossier ;
  • Impartial et neutre. Même si l’enquêteur est choisi à l’interne, il ne devra en aucun cas connaître ni la personne plaignante, ni la personne mise en cause, ni la situation pouvant avoir conduit à la plainte. De plus, il devra pouvoir mener son enquête sans pression de devoir prendre position pour l’une ou l’autre des parties ;
  • Démontrer une grande capacité d’écoute;
  • Être disponible pour mener l’enquête dans les meilleurs délais ;
  • Être en mesure de rédiger le rapport requis;
  • Garder l’ensemble de l’enquête confidentiel.

Enfin, le rôle de l’enquêteur n’est pas de juger une personne ou de porter des jugements de valeur, mais de qualifier une situation selon les critères mentionnés plus haut. La liste des qualités requises est loin d’être anodine. Le fait de confier une enquête à une personne qui n’en a pas la compétence peut avoir des répercussions désastreuses sur les personnes impliquées dans l’enquête et sur votre entreprise. L’enquêteur est tenu de respecter une grande rigueur dans l’exécution de son enquête en ayant une méthodologie définie. L’ordre des CRHA[1] et le Barreau du Québec (l’ordre professionnel des avocats du Québec) ont des codes de conduite à respecter pour mener ce genre d’enquête. Un enquêteur devrait toujours être en mesure de justifier sa méthodologie pour l’exécution d’une enquête. Il pourrait être amené à l’expliquer devant un arbitre.

Comment se passe une rencontre?

L’enquêteur devrait idéalement suivre l’ordre suivant pour les rencontres :

  • La personne plaignante : il lui faudra assumer une grande partie du fardeau de la preuve, c’est-à-dire apporter les éléments de ce qu’elle avance. La personne plaignante n’est pas toujours en mesure de prouver par des documents ou autres preuves concrètes ce qu’elle allègue. Il faudra donc que l’enquêteur tienne compte, entre autres choses, de la prépondérance de la preuve, c’est-à-dire lorsqu’un fait est plus probable d’avoir effectivement eu lieu que l’inverse. Comment ? En évaluant, par exemple, la vraisemblance, la cohérence et la constance du récit. L’enquêteur fera également appel à la notion de « personne raisonnable», c’est-à-dire en se demandant comment une personne qualifiée dans la moyenne des autres, placée dans les mêmes circonstances que la personne plaignante aurait-elle réagi ?
  • La personne mise en cause : il lui faudra répondre aux allégations faites contre elle. La personne mise en cause devrait avoir tout le temps nécessaire pour répondre à chacune des allégations et fournir, elle aussi, tous les documents qu’elle juge pertinents pour l’analyse de la plainte. Lorsque des allégations sont en lien avec un exercice lié à un droit de gestion, comme la gestion d’un dossier de non-performance, par exemple, un gestionnaire qui aura gardé des notes des diverses rencontres ou des courriels en lien avec d’éventuelles demandes ou évaluations verra sa tâche facilitée (vous pouvez lire l’article sur ce sujet pour voir l’importance de documenter tous dossiers en lien avec un suivi qu’il soit disciplinaire ou autre).
  • Les témoins : ils doivent être rencontrés dans le but de corroborer ou d’infirmer les dires des deux parties. Avant de convoquer un témoin, il faut se demander la plus-value de son témoignage pour l’enquête. En effet, il s’agit d’identifier les personnes clés, celles qui ont été citées comme ayant été réellement témoins d’un événement particulier ou celles qui peuvent apporter des explications sur des questionnements liés à l’enquête. Il ne s’agit pas, vous le comprenez, de multiplier considérablement les rencontres de témoins, et cela, afin qu’un nombre minimal de personnes soient au courant du fait de l’enquête et donc, minimiser l’atteinte à la réputation des parties.
  • Éventuellement une deuxième rencontre avec la personne plaignante ou celle mise en cause pour revenir sur certains éléments s’ils ne sont pas clairs ou si des contradictions apparaissaient.

Cet ordre peut différer selon certaines circonstances. 

Chaque personne rencontrée lors de l’enquête a le droit d’être accompagnée. Il faut néanmoins mettre des balises claires sur le fait qu’une personne qui assiste au témoignage d’une des parties ne pourra pas être elle-même entendue à titre de témoin ensuite, et cela, afin que son récit ne soit pas influencé. Aussi, une personne accompagnatrice ne devrait pas intervenir dans les échanges entre l’enquêteur et la personne plaignante ou mise en cause ou témoin. Toutes les personnes rencontrées, y compris les personnes accompagnatrices, devront s’engager à garder confidentiel le fait de l’enquête et donc, tout ce qu’ils ont entendu.

Certains enquêteurs enregistrent les rencontres, certains retranscrivent ensuite les enregistrements sur papier, d’autres non. D’autres enquêteurs, dont moi, prennent des notes les plus fidèles que possible des propos tenus. Ces notes dites « contemporaines » se veulent être quasiment du mot pour mot.

Dans tous les cas, les personnes rencontrées lors de l’enquête doivent pouvoir prendre connaissance des notes prises et en assurer l’exactitude.

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Les conclusions de l’enquête

Une fois tous les témoignages et les documents recueillis, l’enquêteur devrait être en mesure de statuer sur les allégations de la personne plaignante. Il remet un rapport à la personne d’autorité qui lui a confié le mandat. Le rapport reste généralement confidentiel, mais il peut en être différemment selon la politique en vigueur dans la compagnie.

Comme nous l’avons dit précédemment, les conclusions de l’enquête devraient clairement établir si les cinq critères de la définition de harcèlement sont satisfaits ou non, et le rapport devra en faire état.

L’enquêteur peut en venir aux conclusions suivantes :

  • Il n’y a pas de harcèlement au sens de la loi et la politique interne a été respectée ;
  • Il n’y a pas de harcèlement, mais des éléments sont à considérer ;
  • Il n’y a pas de harcèlement et la plainte est frivole ;
  • Il y a harcèlement et la politique interne n’a pas été respectée.

L’enquêteur peut rendre un rapport de recommandations au mandant, mais il appartient à l’employeur, et non à l’enquêteur, de prendre les décisions qu’il juge appropriées suite aux conclusions de l’enquête. La personne plaignante et celle mise en cause devront être rencontrées pour connaître les conclusions de l’enquête. Dans le cas d’une plainte de harcèlement où la conclusion voudrait que l’ensemble des allégations ne réponde pas à la définition de harcèlement, il est tout de même important que la personne plaignante sache que l’enquête ne nie pas ses propos, mais que la prépondérance de la preuve n’a pas permis de qualifier l’ensemble des allégations comme étant du harcèlement. Même chose pour la personne mise en cause qui, même si la conclusion indique qu’il n’y a pas harcèlement, devra se voir expliquer les différents manquements qui auraient pu être relevés.

Si l’enquête révélait que la plainte est frivole ou mensongère, des conséquences pourraient être prises contre la personne ayant déposé la plainte. Une entreprise qui connaît une telle situation devrait en profiter pour corriger certains éléments soulevés par l’enquête. Il peut par exemple s’agir d’un manque de gestion, d’un manque de formation, d’un manque dans l’organisation du travail, etc.

Conclusion

Une enquête est un processus très sérieux qui demande que plusieurs éléments soient respectés, notamment : la diligence, l’impartialité, la confidentialité, la compétence. Une enquête bien menée déterminera l’après-enquête. Ne pas respecter ces principes ou bâcler une enquête pourrait avoir de fâcheuses conséquences pour les personnes impliquées, comme pour leurs collègues et donc, pour l’entreprise.

Pour les personnes qui souhaiteraient en savoir davantage sur les possibles recours, vous pouvez vous référer au site de la CNESST[2].

[1] CRHA : Conseillers en ressources humaines agréés

[2] CNESST : Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail

Severine Paladini

Severine Paladini est consultante en ressources humaines et relations de travail et fondatrice de « Expertise H2H ». Elle est membre de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés et titulaire d’un baccalauréat en Relations industrielles de l’Université Laval, à Québec.


Expertise H2H

Expertise H2H accompagne les entreprises dans leurs enjeux de ressources humaines et de relations de travail. Expertise H2H propose également la prise en charge d’enquêtes internes, dont les plaintes de harcèlement, la formation de vos gestionnaires, l’impartition ou la mise en place d’une structure Ressources humaines. www.expertise-h2h.com


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