Spin : la fin d’un cycle
La prochaine fois que vous croiserez un(e) expert(e) des communications ou du marketing, demandez-lui si son travail permet de bâtir des liens de confiance. Il y a de bien bonnes chances qu’il ou elle se mette à opiner énergiquement. Enfin, c’est probablement ce que je ferais moi-même.
Or, si nous sommes les champions de la création de liens de confiance, on peut présumer que notre industrie a une excellente réputation au sein de la population, n’est-ce pas?
Eh bien non.
D’après un sondage d’Ipsos, seulement 8% des Canadiens affirment avoir confiance en les professionnels de la publicité. Ça nous place tout juste derrière les astrologues qui obtiennent un inquiétant 9%.
Comment ça?
Il y a sûrement de nombreux facteurs qui peuvent expliquer cette déconfiture, mais je pense (et je suis loin d’être le seul) qu’on peut trouver une partie de la réponse dans l’emploi abusif du spin, ou mieux, de «l’adaptation créative de la vérité en fonction des objectifs d’affaires du client», mettons.
Robert Phillips, ancien président et CEO de la plus grande agence de relations publiques du monde, décrit dans son livre « Trust Me, PR is Dead » comment le spin et le mensonge que l’on associe à son industrie n’est plus (n’a jamais été?) viable.
Si des gens ont encore recours au spin, c’est sans doute parce qu’ils croient que la communication peut tout régler, qu’elle peut venir à bout de toutes les oppositions.
Dans cette optique, peu importe le degré de perfidie des actions que posent un individu ou une entreprise, il serait toujours possible de cajoler ou de manipuler les citoyens afin qu’ils entendent ultimement raison.
Nous avons eu un excellent exemple de l’application de ce mythe récemment. Sans surprise, ça a très mal tourné…
5000% d’augmentation…pour votre bien!
Vous souvenez-vous de Martin Shkreli, le président de Turing Pharmaceuticals? Probablement que oui, vu qu’il s’est fait attribuer par plusieurs le titre peu enviable d’homme le plus détesté des États-Unis.
Comme vous le savez sûrement déjà, M Shkreli a eu l’idée lumineuse d’augmenter de 5000% le prix d’un médicament essentiel pour les personnes atteintes de toxoplasmose. Son geste a soulevé l’indignation générale et créa un ouragan médiatique.
Le principal intéressé s’est toutefois bien gardé de revenir sur sa décision. Il a préféré se lancer dans une vaste campagne de relations publiques pour expliquer son geste. Selon lui, les gens étaient en colère simplement « parce qu’ils n’avaient pas compris » (et non parce que sa décision était complètement immorale, évidemment).
Son subterfuge n’a pas fait mouche et il semble même s’être mollement rétracté. Cet échec, comme tant d’autres, devrait sonner l’alarme. Il faut y voir que les choses doivent changer. En fait, que les choses ont déjà changé.
Pourquoi le spin est une très mauvaise idée?
Plusieurs attribuent le déclin de l’efficacité du spin à l’émergence de nouvelles technologies de communication. Il s’agit certainement d’un élément très important, mais n’oublions pas que les gens étaient déjà allergiques à la novlangue des relations publiques depuis fort longtemps.
Les êtres humains ont bien des faiblesses, mais ils sont très habiles dans la reconnaissance de motifs (pattern seeking). À force d’être soumis au verbe feutré des spécialistes de la persuasion, les gens ont vite appris à le reconnaitre, puis à s’en méfier.
La démocratisation d’internet et des réseaux sociaux ont, plus tard, pu amplifier ce scepticisme d’au moins deux façons cruciales.
Premièrement, nous avons maintenant un accès instantané à une quantité d’information sans précédent. Ainsi, peu importe où l’on se trouve, nous pouvons rapidement vérifier la véracité des affirmations qui nous sont présentées.
Deuxièmement, tout le monde peut désormais partager ses connaissances ou, à la rigueur, son opinion sur les réseaux sociaux, un blogue, un journal citoyen, etc. Bien entendu, les coups de gueule diffusés sur Facebook ou Youtube ne se transforment pas tous en mouvements planétaires, mais le risque demeure.
Toutes vérités embarrassantes qu’une organisation tente de camoufler sous le linceul de la propagande peuvent resurgir à tout instant. Ce sont de véritables bombes à retardement.
Que faire alors?
Si le spin est mort, ne comptez pas sur moi pour le pleurer.
Comme l’a très bien exprimé Pierre Nadeau dans son article L’authenticité au service des entreprises, l’heure est à la transparence.
Que peuvent faire les organisations dans ce contexte?
D’abord, je crois qu’elles doivent comprendre qu’on parle ici d’un changement profond, majeur, qui nécessite d’accorder plus d’importance aux gestes qu’aux paroles. En d’autres mots, il s’agit de comprendre qu’un problème d’image, c’est parfois simplement un problème de comportement.
Les organisations peuvent contrôler ce qu’elles font et ce qu’elles disent, mais ne peuvent pas manipuler la population aussi aisément que le prétendent les spin doctors. Ça prendra un certain temps avant que cette notion soit comprise et adoptée tant elle est répandue, mais j’ai espoir que ce sera un jour le cas.
L’avenir appartient aux entreprises qui communiquent de manière élégante et sincère, dans le respect des faits, de l’éthique et de l’intelligence des citoyens.
Votre organisation est-elle prête pour ce changement?
Éric N. Lécuyer
Président – Upsolete