Tout ce qu’on ne vous dira jamais sur l’entrepreneuriat

L’aventure entrepreneuriale débute toujours par un rêve, une passion ou un impératif que l’on porte en soi. C’est pour cette raison que je suis autant passionné par ma profession d’accompagnateur en démarrage. J’ai cet immense privilège d’aider les gens à réaliser leurs ambitions et à aller au bout d’eux-mêmes. Ça me remplit de bonheur.

Bien que le rêve et les aspirations constituent bel et bien les racines d’un projet entrepreneurial, le quotidien de l’entrepreneur est loin de se limiter à un rêve devenu réalité ! Pourtant, on a encore tendance à dépeindre la démarche entrepreneuriale de façon fleur bleue, ce qui contribue à une conception erronée de la réalité entrepreneuriale. Est-ce difficile d’être entrepreneur ? Bien que le jeu en vaille la chandelle, ce n’est pas facile du tout !

Je sais pertinemment bien que ce n’est pas en dorant la pilule que nous mettrons en mouvement des entrepreneurs forts et endurants. Pour cette raison, je vous propose dans cet article un panorama des réalités moins connues au sujet de la démarche entrepreneuriale. L’objectif n’est pas de décourager l’aspirant entrepreneur, bien au contraire. Il s’agit plutôt de mettre en lumière certaines réalités qu’il vaut mieux anticiper que découvrir en cours de route. Voici donc tout ce qu’on ne vous dira jamais sur la démarche entrepreneuriale !

Vous ne ferez pas seulement ce que vous aimez!

Vous êtes un passionné de la planche à voile ? Alors, vous avez décidé de lancer votre école de voile. Ç’a du sens et c’est vraiment merveilleux ! Ceci dit, vous ne ferez pas qu’enseigner la voile, je vous le garantis !

Les aspirants entrepreneurs ont tendance à croire qu’ils passeront la majorité de leur temps à faire uniquement ce qui les passionne. C’est faux. Et le choc est parfois très dur lorsqu’ils s’en rendent compte.

Reprenons l’exemple d’une école de voile. Le fait de donner des cours de voile en soi correspond à ce que Chandler appelait le rôle métier[1]. Or, le rôle métier constitue habituellement de 20 à 30 % des tâches de l’entrepreneur. C’est peu quand on s’attend à ce que ce rôle occupe l’entièreté de nos journées !

L’essentiel de la vie professionnelle d’un entrepreneur ne réside pas dans son rôle métier, mais plutôt dans son rôle de dirigeant d’entreprise. C’est ce rôle qui occupe la majorité de son temps et qui lui consomme le plus d’énergie. Or, le rôle de dirigeant d’entreprise peut paraître a priori très sexy. Par contre, il faut savoir que dans une entreprise en démarrage, ce rôle se rapproche davantage de celui de l’homme à tout faire que de celui du président. Cela implique de faire des choses qu’on adore, d’autres qu’on tolère et finalement, celles qu’on déteste éperdument. Il est donc important que l’aspirant entrepreneur sache d’avance en quoi consiste le réel quotidien d’un entrepreneur. Rien à voir avec le fauteuil de cuir posé en bout de table et sur lequel se prennent de grandes décisions à longueur de journée. Ça, c’est chez IBM… et encore !

Vous aurez du mal financièrement!

On passe trop souvent sous silence la situation financière précaire des entrepreneurs en démarrage. Pourtant, il s’agit d’une réalité à laquelle tout aspirant entrepreneur doit se préparer. Une fois le déploiement du projet mis en marche, ce dernier exigera bien plus de temps qu’un simple emploi, sans nécessairement rémunérer le promoteur en conséquence. Dès le début, le projet accapare son promoteur tout en lui coupant les vivres. Heureusement, cette période est souvent de courte durée. On peut compter en moyenne de trois à six mois pour qu’un projet d’affaires atteigne le seuil de rentabilité. Par la suite, le promoteur pourra se verser un salaire et ainsi vivre de son projet.

Il est donc très important que le promoteur ait une marge de manœuvre au niveau de sa situation financière personnelle. Si ce n’est pas le cas et qu’il attend immédiatement un revenu provenant de son entreprise, il risque de lourdement s’endetter. Pour pallier cette baisse de revenus, il n’est pas rare de voir certains entrepreneurs occuper un emploi à temps partiel au même moment qu’ils lancent leur entreprise. Malgré cela, il est tout de même capital de pouvoir compter sur des alliers financiers parmi ses proches.

Cette baisse de revenus sera aussi accompagnée d’une rupture momentanée de la capacité d’emprunt de l’entrepreneur. On dira alors que, sur le plan personnel, l’entrepreneur devient insolvable. Prenez le temps d’y penser quelques minutes. Quelle institution financière acceptera de fiancer le prêt hypothécaire d’une personne dont le revenu repose entièrement sur une entreprise en démarrage ? Qu’est-ce qui garantit à cette institution que la personne sera en mesure de rembourser les 600 $, 1000 $ ou même les 1500 $ mensuels des versements hypothécaires ? Sans compter le paiement des taxes municipales et scolaires. Au moment du démarrage, l’entrepreneur doit donc mettre sur la glace certains de ses projets personnels, comme l’acquisition d’une première maison. Vous l’aurez compris, un projet qui est relativement banal pour un salarié, devient quasi impossible pour l’entrepreneur en démarrage.

Le démarrage d’une entreprise comporte donc une période difficile sur le plan financier. L’entrepreneur subira une baisse de revenus et une rupture de sa capacité d’emprunt. Un retour à la normale s’effectuera ensuite, à mesure que l’entreprise se développera.

Vous ne deviendrez pas riche!

Le discours entrepreneurial a radicalement changé au cours des dernières années. Les entrepreneurs de ma génération ne sont pas des capitalistes effrénés, et j’en suis profondément fier. La recherche de profit n’est plus la motivation principale. Ceci dit, le rêve entrepreneurial, par définition, accepte une dose de sacrifices en échange d’une liberté financière espérée. Il est normal de chercher à obtenir une rémunération pour le risque entrepreneurial. C’est même inhérent au concept d’entrepreneuriat.

Il y a tout de même une nuance importante à faire. Si certains entrepreneurs réussissent à améliorer leur sort sur le plan financier, ce n’est jamais à la hauteur des Gates, Beaudoin, Sirois ou Kruger de ce monde. À cadence de 400 démarrages annuellement, je n’ai pas encore vu de tels succès sur le plan financier. Certains s’en sortent tout de même très bien : ils ont une jolie maison, une jolie voiture et un adorable petit chien de race qui exige soins et amour. Ce n’est pas mal du tout comme situation ! Tout de même, ce n’est clairement pas le train de vie de messieurs Démarrais, Bouchard ou Laliberté.

Contre toutes attentes, les aspirants entrepreneurs qui rêvent de devenir riches sont encore nombreux, même si cela constitue un paradoxe générationnel. Ce souhait « d’empocher le magot » est encore bien présent. Moins affirmé qu’auparavant et même parfois inavoué, mais tout de même présent. C’est pour cette raison qu’il est important de remettre les pendules à l’heure en ce qui concerne le gain financier espéré d’une carrière entrepreneuriale.

Votre passion se retournera contre vous!

Je suis toujours profondément interpelé par la passion des entrepreneurs que j’accompagne. C’est mon carburant. Sans passion, on ne va nulle part ! On devient un gestionnaire endormi et démis de courage créatif. Ce type de gestionnaire dont le monde des affaires pullule.

Je donne une importance capitale à la passion lors de mes formations, car elle est la matière première d’une motivation durable. Elle est le bouillon d’une motivation intrinsèque qui gardera l’entrepreneur focalisé et assurera la durabilité de son effort.

D’un autre côté, je prends soin de former mes entrepreneurs aux dangers qui les guettent en lien avec leur passion. Il y a principalement deux dangers auxquels ils s’exposent : 1) le drainage passionnel et 2) l’usure de leur passion.

Le drainage passionnel c’est, tout simplement, le fait d’être drainé par sa passion. Cette dernière est alors si forte chez l’entrepreneur, qu’elle prend de plus en plus de place. Graduellement, cette passion se combine aux exigences réelles du métier d’entrepreneur et elle finit par prendre toute la place. Les autres sphères de la vie de l’entrepreneur sont alors littéralement drainées du temps et de l’énergie qu’elles méritent. L’entrepreneur devient graduellement l’otage de sa propre passion, qui est de plus en plus exigeante.

L’autre danger, c’est celui de l’usure de la passion. Souvent, cela survient à la suite d’un drainage passionnel. L’entrepreneur a tellement donné en temps et en énergie à son projet et il s’est tellement investi dans le domaine qui le passionne, qu’il n’arrive plus à ressentir sa passion. Elle s’est usée, comme atrophiée. Ce phénomène est tout à fait compréhensible et facilement explicable. À force de sous-alimenter les autres sphères de sa vie, le moteur passionnel de l’entrepreneur s’est brulé. L’entrepreneur ne ressent plus le même engouement face à ce qui le passionnait initialement. J’ai même côtoyé des entrepreneurs qui me disaient je me sens éteint ou encore pire je ne sens plus rien!

Au final, il faut retenir qu’en suivant sa passion, l’entrepreneur s’expose au danger qu’elle se retourne contre lui. Il s’agit d’un piège auquel de nombreux entrepreneurs se font prendre. Il ou elle doit prendre soin de sa passion dès le départ, tout en évitant qu’elle se détériore à force de prendre toute la place.

Vous vivrez un sentiment de solitude!

Je dis souvent aux entrepreneurs : on est toujours seul au sommet ! Le sentiment de solitude est sans aucun doute l’aspect le plus difficile du métier d’entrepreneur. Bien que l’entrepreneuriat soit en vogue actuellement, il reste que notre société est construite autour du salariat. Autrement dit, la majorité des gens ne se trouve pas dans une situation entrepreneuriale.

Ainsi, suite au démarrage de son entreprise, l’entrepreneur a souvent l’impression de vivre dans un monde parallèle avec son projet, et ce, même s’il côtoie d’autres entrepreneurs. Les horaires de travail, la stabilité de revenus, la semaine de cinq jours et les vacances ne sont que quelques exemples des réalités propres au salariat et auxquelles l’entrepreneur n’aura pas accès. Sa famille, ses amis, son conjoint ou sa conjointe, ainsi que ses connaissances suivront le courant pendant que lui, ou elle, ramera à contrecourant.

Bien que la plupart des entrepreneurs s’adaptent à cette sensation de solitude, certains la trouvent insupportable et préfèrent revenir sur le marché du travail. Suivre le courant est rassurant ! Pour ceux qui auront persisté dans l’aventure entrepreneuriale, cette sensation s’estompera à mesure que l’entreprise prendra de la maturité. Ainsi va la vie des marginaux qui ont décidé d’entreprendre et de changer le monde !

Est-ce que tout est dit maintenant?

Voilà quelques réalités moins reluisantes au sujet de la démarche entrepreneuriale dont on parle rarement, voire jamais. Au risque d’en décourager certains, j’ai tout de même choisi de les mettre en lumière.

Avant même de tenter de dénicher l’opportunité d’affaires en or, l’aspirant entrepreneur doit s’assurer de comprendre en quoi consiste le quotidien d’un entrepreneur. Par ailleurs, il est primordial qu’il ou elle soit au clair avec ses attentes personnelles au sujet de la démarche entrepreneuriale. Le succès d’une entreprise en démarrage repose entièrement sur les capacités de son promoteur ou de sa promotrice. S’il, ou elle, n’est pas entièrement prêt à assumer les réels sacrifices associés au démarrage d’une entreprise, il est impossible que le projet connaisse du succès.


Cet article se voulait un panorama des réalités moins connues de l’entrepreneuriat. Il est clair qu’il existe de nombreuses autres embûches sur la route entrepreneuriale. Non, tout n’a pas été dit. Il en reste encore beaucoup à dire. Par contre, pour chaque obstacle, il y a au moins trois bonheurs. Et pour surmonter les obstacles, l’entrepreneur aura besoin de courage et de passion. C’est tout ce dont on a réellement besoin pour devenir entrepreneur !

[1] *Chandler. G.N. & Jansen. E. (1992), « The founder’s self-assessed competence and venture performance », Journal of Business Venturing, Vol 7, pp. 223–236, www.sciencedirect.com


Jean-Philippe L’Écuyer, M. Sc.
Entrepreneur en résidence – Futurpreneur

Jean-Philippe L'Écuyer

Jean-Philippe accompagne quotidiennement les entrepreneurs en démarrage d’entreprise. Il a aidé plus de 250 entrepreneurs à se lancer en affaires et a levé plus de 4,5 M$ en financement d’amorce. Coach professionnel, il est également titulaire d’un baccalauréat et d’une maîtrise en entrepreneuriat de HEC Montréal. Il est le fondateur de Vision et Mission, un blogue sur le démarrage d’entreprise.

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