L’effectuation : pour passer d’employé à entrepreneur
L’effectuation est une théorie entrepreneuriale qui existe depuis une dizaine d’années. Bien qu’encore méconnue en dehors des cercles universitaires, elle fait lentement son chemin à l’extérieur de ce milieu pour le plus grand bien de l’entrepreneuriat !
Cette théorie modifie notre façon de voir comment les entrepreneurs pensent et agissent pendant leur processus de création d’entreprise.
Dans la logique causale (approche traditionnelle), il faut définir un but et trouver des moyens pour l’atteindre. L’exemple courant est celui d’un entrepreneur visionnaire qui a une idée, qui rédige un plan d’affaires, trouve des fonds, bâtit son entreprise, la revend (tous les éléments précédents sont des moyens) et prend sa retraite à 40 ans (lancer une entreprise pour faire de l’argent étant le but).
En effectuation, l’entrepreneur évalue les moyens à sa disposition et trouve des buts possibles. Un exemple connu est celui de U-Haul où un ancien soldat revenant de guerre a dû s’acheter une remorque pour déménager et la prêtait à ses amis pour les dépanner étant donné que sa remorque était sous-utilisée (moyen). Se rendant compte du potentiel, il a développé cette activité jusqu’à en faire une entreprise prospère (but).
Saras Sarasvathy, une chercheuse d’origine indienne, a découvert que plusieurs entrepreneurs à succès étaient souvent partis d’une idée assez simple et, s’appuyant sur les moyens dont ils disposaient (leur expertise, leur personnalité, leur réseau de contacts), sans rédiger le plan d’affaires, créaient leur projet en chemin, tirant parti des imprévus rencontrés en cours de route. Ils n’étudiaient pas un marché, mais faisaient des essais en minimisant leurs pertes. C’est à elle que l’on doit l’effectuation et ses cinq principes :
Principe no 1 : Miser sur « Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras »
Le secret derrière ce principe est le suivant : il vaut mieux partir de ce que vous avez et faire avec.
Vos trois actifs les plus importants sont les suivants :
– votre personnalité (qui devrait vous orienter dans une direction plutôt qu’une autre),
– vos connaissances (votre expertise de base),
– vos relations (votre réseau).
Et voici comment ça marche :
En approche traditionnelle : vous voulez créer une entreprise de vente de produit écolo, vous devez trouver des producteurs, trouver une « place d’affaires » et/ou créer un site Web transactionnel, faire du marketing, trouver des clients, etc.
En approche effectuale : votre connaissance des produits écolos et votre réseau vous permettent de trouver une personne qui a un local et une autre qui fait des sites Web. Vous vous associez et vous créez un projet ensemble. Vous testez l’idée pendant quelques mois et vous trouvez quelques clients qui vous permettent de valider votre concept avant de faire le saut, ce qui nous amène au second principe.
Principe no 2 : Raisonner en perte acceptable
Qu’êtes-vous prêt à perdre ?
- 5 000 $ ?
- six mois de votre temps
- vos weekends pendant trois mois
L’élément clé est de se fixer des limites d’argent et de temps et de faire le point une fois rendu à l’échéance. Ne perdez pas de temps à estimer les gains possibles, mettez-vous dans l’action. La plupart des entrepreneurs ont commencé ainsi !
Principe no 3 : Utiliser le « patchwork fou »
Un autre élément clé de l’approche est le fait d’utiliser la co-création pour développer son projet.
Après avoir rencontré plusieurs entrepreneurs depuis quelques années, je peux dire que je rencontre régulièrement ces trois cas de figure :
L’entrepreneur traditionnel qui vise à résoudre un casse-tête. Il imagine la photo finale de son projet (vision/mission) et assemble les pièces pour concrétiser l’idée (plan d’affaires).
L’entrepreneur « jovialiste » qui pense à créer une entreprise comme s’il jouait à la loterie. Il fonce avec son idée et tente la chance que son concept soit suffisamment bon, que le timing soit parfait et qu’il ait en main toutes les cartes pour mener le projet à terme. Malheureusement, la très grande majorité des projets se terminent en queue de poisson avec une perte de temps et d’argent à la clé.
L’entrepreneur effectual utilise l’approche du « Patchwork fou ». Il parle de son projet avec tout le monde. De ces discussions naitront des suggestions d’améliorations, des partenaires, des clients.
À l’image de la courtepointe qui est fabriquée de plusieurs morceaux de tissus provenant de sources multiples et assemblés ensemble pour faire un tout cohérent, le « patchwork fou » permet d’agglomérer les meilleures idées, partenaires, clients pour faire un meilleur projet d’affaires.
L’élément clé est de ne pas perdre votre temps à tout planifier et de :
- parler de votre projet au plus de gens possible ;
- obtenir l’engagement de parties prenantes ;
- utiliser l’intelligence collective pour orienter votre projet ;
- coconstruire votre projet.
Principe no 4 : Si la vie vous envoie des citrons, faites de la limonade !
Alors que la planification stratégique a pour but de planifier l’avenir pour éviter les surprises, les entrepreneurs à succès accueillent celles-ci favorablement et s’en servent pour améliorer leur projet d’entreprise.
Toute l’idée part du dicton : « si la vie t’apporte des citrons, fais-en de la limonade ».
Concrètement, vous démarrez sur une idée et, à la suite d’un problème, d’une observation fortuite ou d’une suggestion d’un client, vous identifiez une nouvelle opportunité et prenez une nouvelle direction (le fameux Pivot du Lean Startup).
Rappelez-vous que de se protéger contre les risques a un coût et qu’une mauvaise surprise cache souvent une opportunité !
Principe no 5 : Prendre le rôle du pilote dans l’avion
L’approche traditionnelle en entrepreneuriat se résumerait par la phrase suivante : « dans la mesure où nous pouvons prévoir l’avenir, nous pouvons le contrôler. »
L’effectuation utilise la logique inverse en stipulant que « dans la mesure où nous pouvons contrôler l’avenir, nous n’avons plus besoin de le prévoir. »
L’entrepreneuriat devient donc source de création, ce qui nous réconcilie avec cette idée de quitter un monde corporatif contraignant pour devenir des créateurs de valeur.
Ce principe d’être le pilote dans l’avion nous renvoie à notre rôle d’acteur de changement et non pas de simple passager passif.
Concrètement, cela signifie :
- de regarder comment les choses pourraient être et pas comment elles sont ni comment les autres les voient ;
- de comprendre que l’avenir dépend de nos actions ;
- que rien n’est inéluctable, que l’avenir n’est pas écrit.
Ce que cela signifie pour vous :
Si l’effectuation et ses cinq principes m’ont permis de passer du statut d’employé à celui d’entrepreneur, qu’en est-il pour vous ?
Si vous désirez vous lancer en affaires ou si vous désirez accélérer votre croissance, je vous encourage à vous poser ces cinq questions :
- Qu’est-ce que j’ai d’unique ?
- Quel investissement (temps ou argent) suis-je prêt à mettre dans mon projet ?
- Suis-je prêt à communiquer mon projet au plus grand nombre ?
- Suis-je capable de convertir un problème en opportunité ?
- Suis-je prêt à m’assoir dans le siège du pilote ?
En cas de besoin, contactez-nous chez Moientrepreneur.ca et c’est avec plaisir que nous vous guiderons dans votre démarche !
Pour plus d’information sur le sujet, je vous recommande le blogue de Philippe Silberzahn ou ce site sur l’effectuation (en anglais).
Ian-Patrick Thibault