Les défis d’une entreprise en croissance – rencontre Affordance, première partie

Le développement d’une entreprise est un défi, et ce, dès les premières étapes. Les deux premières années sont cruciales pour mettre en branle son projet, mais aussi pour sa pérennité. Quelles sont les barrières à l’entrée ? Quels sont les choix à faire afin d’en assurer la croissance plutôt que la perte ? Pour chaque entreprise, l’histoire est différente. J’ai voulu en connaître davantage sur celle d’Affordance Studio, une jeune compagnie de design de jeux et de « gamification » destinée à la création d’outils de formation efficaces en entreprise et à l’intégration de jeux pédagogiques comme solution innovante et interactive pour le grand public. Pour ce faire, j’ai rencontré Pascal Nataf, PDG et cofondateur d’Affordance Studio. Discussion autour de l’entrepreneuriat et des enjeux reliés à la croissance d’une entreprise.

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Quels sont les défis en démarrage d’entreprise ?

Les défis sont nombreux. Trouver les bons partenaires pour se lancer est crucial, mais difficile. Dans notre cas, ce fut de trouver les bons cofondateurs. Nous étions plusieurs personnes avec le même profil. Nous avons eu beaucoup de difficulté à recruter quelqu’un au niveau technique. Aucun programmeur ne voulait venir avec nous. Lâcher une job payante pour s’investir avec des « kids » qui lancent leur première entreprise et travailler sur un projet qui n’était pas encore bien défini était très risqué. Nous n’avions donc pas de programmeur. Cependant, quand nous l’avons trouvé, il a été le premier à être payé. Avec le peu d’argent que nous avions en démarrage, le défi a été lourd à assumer.

Le manque de ressources financières est le principal défi du démarrage. Ça prend beaucoup de temps avant d’avoir de l’argent. En participant à divers concours de « Start up », et il y en a beaucoup à Montréal, on réussit à amasser de l’argent. Cependant, les « Start up » deviennent rapidement des « smoke and mirrors ». Le temps investi à préparer les « pitch » est du temps emprunté à ton projet d’affaires, à faire des ventes. À court terme, cela te donne de l’argent, mais prend énormément de ton temps. La première année, nous avons fait seulement une vente et nos revenus provenaient majoritairement des concours. Nous étions constamment en train de préparer le prochain afin d’avoir le meilleur « pitch » de vente, les meilleures démos… Nous travaillions sur des démos afin de convaincre des juges et de recevoir de l’argent, mais pendant ce temps, nous ne travaillions pas sur Affordance. Nous travaillions à vendre Affordance. Malgré tout, c’est cet argent qui nous a permis de monter notre projet, de payer nos premiers programmeurs, et qui nous a permis de commencer notre financement.

À tes débuts, l’offre de soutien pour t’aider à monter ton plan d’affaires est énorme, mais quand vient le temps de monter un contrat de travail, par exemple, les ressources sont manquantes. Souvent, tu es dirigé vers un avocat. Cela engage cependant des frais, sans compter l’argent à investir pour les nouveaux employés, le loyer, les applications/programmes qui t’aident à structurer ton entreprise, que ce soit pour faire des factures, les payes, etc. À la fin du mois, tu te retrouves avec des frais d’exploitation importants. Bref, l’argent part rapidement. L’idéal serait de ne pas payer pour ces choses-là en situation de démarrage. La plupart des « Start up » coulent sous le poids de ces frais de service. C’est la course au financement. Quand tu finis par en trouver, tu brûles le capital trop vite. On parle souvent d’une philosophie « Lean Start Up » : brûler le moins de capital possible au départ en attendant les ventes. C’est important de bien comprendre ces choses-là afin d’être efficace en démarrage.

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Aussi, la tâche est colossale entre la paperasse à remplir, les demandes du gouvernement, les « pitch » à faire, le réseautage… Tu ne veux pas manquer d’opportunités. Tu dois construire ton réseau de contacts. En plus, lorsque tu gagnes des concours, les gens veulent te voir, te rencontrer. Il y a beaucoup de choses à faire, mais le temps manque. Prioriser est difficile, et mal organisé, tu coules rapidement. Garder la tête au-dessus de l’eau est un défi. Tu as toujours l’impression de te noyer. Tu finis par abattre une panoplie de tâches sur ta « to-do list » et puis, bang ! Le lendemain, une tonne de nouvelles tâches viennent s’ajouter. Avec le temps, avoir les bonnes personnes aux bonnes places permet de déléguer et ainsi, de mettre le « focus » sur les priorités. Nous en sommes rendus là aujourd’hui.

Finalement, trouver le bon modèle d’affaires est primordial. Tu commences et tu as l’impression d’avoir trouvé une problématique. Tu travailles en étant certain d’avoir découvert LA meilleure solution. Il est important de rapidement confronter le marché avec ta proposition. « Est-ce que mon idée est vraiment bonne ? Est-ce que les gens en ont vraiment besoin ? » En faisant rapidement des ventes, en parlant avec les clients, il est possible de constater si ton produit/service répond aux besoins du marché. Être capable de comprendre le message des acteurs ciblés, vite tester ses hypothèses au lieu de travailler sur un produit dont on ne connait pas l’intérêt sur le marché est primordial. Nous avons fait l’erreur à nos débuts avec Affordance. Nous avons perdu de l’argent à développer des technologies dont personne ne voulait. Ça nous a appris à bien faire les choses et heureusement, nous avons su rebondir. C’est bien pour les jeunes de tester rapidement leur concept, sortir des « Start up » pour se concentrer à faire des ventes et voir le réalisme de leur proposition. Le meilleur argent pour se financer est celui des ventes. Si le marché n’est pas prêt à payer pour ton offre, il est possible de survivre un bout de temps avec les bourses, mais tôt ou tard, cela finira par s’effondrer.

Quel élément déclencheur a propulsé la croissance de l’entreprise ?

Il y en a eu plusieurs ! La première vente, c’est-à-dire la première fois qu’un client est venu nous rencontrer dans nos bureaux afin de monter un projet, a été un tournant. C’était un petit contrat, mais du moment où nous avons réussi à convaincre une personne, autre que par les concours, nous savions le potentiel et la viabilité de notre projet d’entreprise. Plus récemment, le premier appel d’offres remporté, soit le projet Morbus Delirium pour le Centre des Sciences de Montréal. L’appel d’offres présentait un montant d’argent significatif et nous étions en compétition avec 11 autres entreprises, la plupart étant beaucoup plus établies que nous. Notre gain a reposé sur notre concept original à l’image de notre compagnie. C’était 100 % l’ADN d’Affordance, et c’est arrivé à un moment charnière. Nous avions beaucoup de projets potentiels, mais peu de ventes. Peu de temps avant, nous avions reçu une proposition pour vendre l’entreprise, nous reconsidérions notre façon de procéder et nous pensions restructurer l’entreprise. Quand ce projet est arrivé, ce projet concret avec de l’argent qui allait nous aider à poursuivre le développement de l’entreprise, nous avons eu un second souffle. Par la suite, l’approche avec les clients était différente. Nous n’étions plus la même entreprise. Cela a facilité nos recherches de contrats avec de plus grandes corporations. Cela a aussi permis de nous mettre au niveau sur le marché pour l’offre proposée. Nous avons finalement compris notre valeur. Les contrats, après celui du Centre des Sciences de Montréal, étaient, disons, plus normaux, et nous permettaient d’aller chercher des marges plus intéressantes.

Qu’est-ce qui fait la réussite de l’entreprise selon vous ?

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Je dirais, comme pour tous les projets et toutes les entreprises, que le principal facteur de succès est la chance. Elle a un immense rôle à jouer dans la réussite d’une entreprise et c’est au cœur même du processus évolutif. Nous nous sommes retrouvés à la bonne place au bon moment. Aujourd’hui, à Montréal, tout le monde parle de création et d’innovation. Nous, nous avons une proposition de design de jeux pour résoudre des problèmes. Le « pitch » est facile à faire, les gens sont sympathiques à ce que nous leur proposons. Montréal est un peu en retard sur les grandes villes nord-américaines. La « gamification » commence à arriver ici et nous, nous sommes déjà établis. Ça aide énormément. Aussi, un des facteurs de succès d’Affordance est notre expertise. Nous sommes tous formés dans le domaine. Notre proposition est assise sur une réelle compréhension du marché et des techniques. Nous allons au-delà du jeu vidéo classique. Nous offrons autant des styles de UX (user experience) que du design de jeu appliqué. Nous avons un processus, une réflexion derrière la confection, en plus des atouts développés. Cela nous démarque.

L’équipe a aussi joué un grand rôle. Nous avons pu compter sur des gens passionnés et dévoués. Ils ont mis un grand nombre d’heures et ont accepté d’être sous-payés au début. L’équipe a porté beaucoup de projets sur ses épaules. Elle est restée avec nous parce qu’elle avait confiance envers la compagnie. Notre culture d’entreprise a aussi été un incitatif : plus d’autonomie, des horaires de travail flexibles, des rencontres à l’extérieur de la ville dans des chalets, des soupers d’équipe… Bref, l’équipe voyait notre investissement et notre implication. Tous les profits étaient directement investis dans la compagnie, dans des augmentations de salaire, à améliorer les conditions de travail, etc.

Le dernier aspect du succès d’Affordance est notre gestion intelligente du flux de trésorerie. Nous avons réussi à financer notre croissance avec des ventes et nous avons évité la fièvre des dépenses à des moments charnières. Cela nous a permis de toujours avoir un coussin nous permettant de voir arriver et d’absorber les chocs. À l’heure actuelle, après trois ans et demi d’opération, nous avons un coussin pour tenir pratiquement un an. Si aujourd’hui, nous arrêtions de prendre des contrats, ce qui n’est pas le cas, nous pourrions répondre à nos responsabilités sans problème. C’est une tranquillité d’esprit qui n’a pas de prix pour une entreprise.

Pour en savoir plus sur Affordance Studio, allez visiter leur site Internet et surtout, ne manquez pas la suite de cette rencontre dans mon prochain billet.

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Marie-Pier Fortier

Travailleuse autonome dans le milieu de la danse, du yoga et de la rédaction, Marie-Pier aime relever des défis et est toujours à la recherche de projets motivants et authentiques. Aider les gens à trouver leur voie, apporter des pistes de réflexion et favoriser l’entraide et le partage sont des actions au cœur de son travail.


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PSOA est une vision : faire bouger les gens, mettre la créativité au cœur de leurs actions et promouvoir l’harmonie individuelle et collective.


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