Mode entrepreneuriale : attention aux effets pervers !

Ou, pourquoi on m’appelle le thérapeute des entrepreneurs ?

Aujourd’hui, on peut dire que le Québec est désormais un terreau fertile pour l’entrepreneuriat. Ça ne fait aucun doute ! Toute proportion gardée, les Québécois démontrent davantage d’enthousiasme que les États-Unis, les pays du G8 et même, le reste du Canada face à la démarche entrepreneuriale (GEM)[1].

Que s’est-il donc passé au cours des dernières années ? Quelle mouche nous a piqués ? Il y a quelques années, le Québec accusait un sérieux retard par rapport au reste du Canada en matière d’entrepreneuriat. Aujourd’hui, il fait les manchettes et la une de magazines à superstars du monde des affaires. On parle d’un virage entrepreneurial, rien de moins.

Les médias spécialisés, tout comme les médias généralistes, se sont emparés du phénomène pour l’apprêter à plusieurs sauces, au grand bénéfice d’un public affamé d’histoires à succès entrepreneuriales.

S’il est vrai que cette vogue entrepreneuriale a grandement contribué à la sensibilisation de la population au phénomène, elle n’a toutefois pas eu que des effets bénéfiques auprès des porteurs de projets d’affaires. Dans mon rôle de coach en démarrage d’entreprise, je suis au premier rang pour constater quelques-uns des pires gâchis de ce mouvement de sensibilisation qui a, malheureusement, glissé dans l’hypersensibilisation !

Les entrepreneurs en démarrage portent en eux une énorme pression sociale par rapport à leur propre démarche entrepreneuriale. Cette pression vient notamment de modèles et de paradigmes qui leur ont été imposés par cette vague entrepreneuriale.

Ce qui devait initialement être un exercice de motivation et d’inspiration est graduellement devenu un idéal social complètement déconnecté de la réalité entrepreneuriale commune. Ce nouvel idéal maintient l’entrepreneur dans une anxiété non justifiée de surperformance entrepreneuriale, ce qui nuit à son émancipation.

Ainsi, se présentent devant moi des entrepreneurs stressés et remplis d’un sentiment de culpabilité. Ça me brise le cœur ! Ils croient que s’ils ne réalisent pas leur projet immédiatement, c’est parce qu’ils manquent de courage. Ils s’en veulent de ne pas avoir fait le grand saut plus tôt, alors qu’ils n’ont encore que 25, 30 ou 35 ans. Ils sont angoissés à l’idée que quelqu’un puisse leur voler leur précieuse idée d’affaires. Également, ils se demandent s’ils sont de vrais entrepreneurs, considérant qu’ils n’ont pas encore entre les mains une entreprise aussi fructueuse que ceux et celles qui font les manchettes. Certains vont jusqu’à remettre en question leurs habiletés humaines, sociales et cognitives afin d’expliquer la petitesse et la lenteur de leur projet d’affaires, en comparaison avec ce qu’ils voient dans les médias et sur les différentes plateformes.

Sérieusement, quel gâchis !

Au-delà de toutes ces belles expériences de vie qui passent à l’histoire restent ceux et celles qui ont un réel potentiel entrepreneurial, mais qui ne lanceront pas le prochain Google ni le prochain Facebook. Ce sont eux que j’aide quotidiennement à avancer vers la réalisation de leur projet, parce qu’ils constituent le socle de notre économie. Ils sont les bâtisseurs dans l’ombre, représentant 98 % des entreprises canadiennes et 92 % de tous les emplois[2]. Ils ne font pas la une des journaux, mais ils méritent leurs lettres de noblesse d’entrepreneurs !

Dans le but d’aider mes clients à avancer malgré toute cette pression sociale qui pèse sur eux, je suis devenu, malgré moi, le thérapeute des entrepreneurs. Il ne se passe pas une seule semaine sans qu’on me qualifie ainsi. Que ce soit mes clients, mes collègues ou mes partenaires en développement économique, tout le monde m’a un jour passé la remarque : toi, tu es un vrai thérapeute pour les entrepreneurs!


Au fait, pour permettre à mes clients de cheminer dans un monde où on les bombarde sans cesse de modèles et d’idéaux entrepreneuriaux, il est important que je brise quelques mythes pour eux au sujet de la démarche entrepreneuriale. Cela a pour effet de relâcher la pression qui pèse sur eux, ce qui leur apporte de l’apaisement et du calme, tout en leur apprenant à respecter leur propre rythme et leur propre couleur entrepreneuriale.

J’ai envie de partager avec vous quelques-unes des capsules thérapeutiques qui ont fait tant de bien à mes clients. Dans une perspective d’entrepreneuriat, ces prétendues capsules thérapeutiques sont au final une simple mise au point sur l’état des faits de la démarche entrepreneuriale, rien de plus. Si elles font autant de bien aux aspirants entrepreneurs, c’est qu’une telle perspective, à la fois réaliste et nuancée, ne leur a jamais été offerte. J’ai cru bon de la partager plus largement à travers cet article. Ça vous dit ? C’est parti !

Prendre le temps de réfléchir à son idée d’affaires

penser

La plupart des gens qui souhaitent lancer leur entreprise jonglent avec plus d’une idée d’affaires. Cette capacité à reconnaitre les opportunités dans le marché et à imaginer des façons de les adresser constitue l’élément fondamental de la pensée entrepreneuriale. Autrement dit, c’est normal d’avoir un lot d’idées quand on est entrepreneur !

Toute cette énergie créative correspond à ce que l’on appelle, dans le jargon de l’entrepreneuriat, la pensée visionnaire. Il s’agit d’un processus complexe qui implique à la fois des éléments cognitifs et des éléments affectifs chez l’entrepreneur.

Alors que la pensée visionnaire est naturelle et souhaitable dans une démarche entrepreneuriale, l’aspirant entrepreneur se sent souvent coincé avec ce flot d’idées décousues. Il ou elle a souvent l’impression que cet éparpillement l’empêchera de déployer un projet d’affaires à succès. Écoutez-moi bien, c’est faux !

À vrai dire, c’est l’inverse. La pensée visionnaire est plutôt la première étape d’un projet d’affaires prometteur. Il faut donc prendre le temps de la vivre pleinement, tout en étant accompagné dans le processus.

Si certains entrepreneurs se sentent inconfortables avec cette étape de la démarche entrepreneuriale, c’est souvent parce qu’ils portent en eux une fausse croyance très néfaste. Ils croient, à tort, qu’il est nécessaire de passer à l’acte le plus rapidement possible quand on est entrepreneur. Cette perception erronée de la démarche entrepreneuriale pousse plusieurs entrepreneurs à agir sur un coup de tête, ce qui entraine pour eux des erreurs couteuses sur le plan humain et matériel.

Croyez-le ou non, le simple fait de dire à un aspirant entrepreneur qu’il a le droit de prendre son temps libère une pression incroyable sur lui ou elle. Alors que toute son énergie était initialement concentrée sur le passage à l’acte, l’entrepreneur renoue alors avec sa pensée visionnaire. Il ou elle est en mesure d’accueillir pleinement cette phase de la démarche entrepreneuriale et d’en tirer tous les bénéfices inhérents.

Développer son esprit critique et fermer les yeux sur certains conseils

entrepreneuriat

La majorité des entrepreneurs n’ont pas de formation universitaire en gestion. Ils ou elles acquièrent des notions managériales en cours de route, en utilisant une grande diversité de canaux de formation. En 2017, les opportunités d’apprentissage sont omniprésentes. Que ce soit à travers des podcasts, des chaînes YouTube, des MOCC, des groupes de discussions sur les réseaux sociaux, des conférences ou des évènements sur l’entrepreneuriat, l’aspirant entrepreneur trouvera rapidement des réponses à ses questions.

Cette offre abondante de notions et de conseils en entrepreneuriat a toutefois des effets pervers. Bien que de nombreuses ressources soient fiables, il en existe également une tonne qui ne l’est pas. Il s’agit d’une source de stress considérable pour l’aspirant entrepreneur. Face à cette offre quasi infinie de conseils-minute en entrepreneuriat, il ou elle se sent perdu, ne sachant plus à qui ou à quoi se fier.

Or, lorsqu’on est ainsi bombardés de tous côtés par des conseils-minute en entrepreneuriat, il est important de développer sa propre grille de lecture. Il importe de prendre conscience de ce que l’on cherche et de ne jamais perdre les notions spécifiques à son projet d’affaires. Autrement dit, chaque conseil ne s’applique pas à tous les projets. Chaque entrepreneur étant unique, chaque notion entrepreneuriale l’est également. Conclusion, il faut en prendre et en laisser !

Afin d’aider mes clients à tirer profit des différentes sources d’informations disponibles, je leur apprends à développer un canevas perceptuel. Il s’agit d’un document d’une page qui recense les questions-clés à se poser lorsqu’on est en présence d’une nouvelle ressource d’aide. Ces questions-clés les aident à distinguer si la ressource est pertinente pour leur projet et leur avancement ou non. N’importe quel aspirant entrepreneur peut développer son propre canevas perceptuel. Non seulement ce canevas est utile pour une recherche d’informations, mais il permet aussi à l’entrepreneur de se sentir plus en contrôle de son apprentissage et même, de son projet d’affaires en soi. Un canevas réussi recense à la fois les aspirations personnelles de l’entrepreneur, les ressources-clés du modèle d’affaires, les forces et faiblesses du projet, ainsi que les différentes possibilités de pivot du modèle d’affaires. Ainsi, l’entrepreneur a en main un portrait synthétique de son projet qui l’aidera à dénicher de l’information et des conseils pertinents.

Embrasser ses peurs et écouter ses insécurités

peur

La plus grande source de culpabilité pour un entrepreneur en démarrage, c’est d’avoir un sentiment de peur ou d’insécurité. Plusieurs aspirants entrepreneurs croient à tort que ces sentiments sont incompatibles avec le fait de devenir un entrepreneur. Les histoires à succès qui pullulent dépeignent toujours les porteurs de projets comme étant des êtres courageux et n’ayant pas hésité une seconde avant de se lancer, tête baissée, dans leur projet d’affaires. Encore une fois, il s’agit d’une image déformée de la réalité. Sachez qu’un entrepreneur, ça doute, ça craint, ça tremble et ça se remet souvent en question ! Voilà un portrait authentique de la réalité entrepreneuriale !

Pourquoi ai-je peur? Pourquoi est-ce que je ne lance pas ce projet? Peut-être que je ne suis pas entrepreneur(e), sinon, je l’aurais déjà fait!

Voilà les questions toxiques que se posent les aspirants entrepreneurs et qui les freinent dans leur projet. Il y a cette fausse croyance, très répandue, voulant que les peurs et les insécurités soient quelque chose de néfaste quand on aspire à être entrepreneur. Pourtant, elles sont souvent constituées d’anticipation, de planification, de questionnements et d’analyses de scénarios. Ces éléments sont des signes d’intelligence et non de faiblesse.

À travers ma pratique d’accompagnement en démarrage d’entreprise, j’ai offert du coaching à toutes sortes de personnes. Différents profils, différentes personnalités, différentes motivations, différentes attitudes. Aujourd’hui, je peux vous dire que les gens qui étaient les plus confiants sont malheureusement ceux pour qui ça s’est le plus mal passé. Soit ils ne sont plus en affaires, soit leur entreprise traine de la patte. La surconfiance n’est pas une qualité entrepreneuriale, croyez-moi !

J’aide les entrepreneurs à accueillir leurs peurs et leurs insécurités, car elles témoignent du réalisme de leur projet. Elles sont la preuve vivante que l’entrepreneur souhaite réellement réaliser ce projet et qu’il ou elle tient compte de tous les éléments de sa vie qui seront impliqués dans celui-ci. De là naissent les questionnements et les insécurités. C’est normal. C’est sain. C’est même souhaitable.

Pourquoi on m’appelle le thérapeute des entrepreneurs?

Vous l’aurez compris, je ne pratique pas la psychothérapie. Je n’y suis pas formé ni autorisé à la pratiquer. Ce que j’appelle mes capsules thérapeutiques est simplement une remise des pendules à l’heure au sujet de la démarche entrepreneuriale. Mon rôle de coach en démarrage d’entreprise implique de plus en plus que j’apaise les peurs de mes clients et que je brise leurs fausses croyances au sujet de la démarche entrepreneuriale.

Si j’en suis venu à jouer ce rôle auprès d’eux, c’est parce que la pression sociale qu’on met sur le dos de nos aspirants entrepreneurs est rendue trop forte, voire insupportable. Je suis et je serai toujours de ceux qui défendront becs et ongles le droit le plus fondamental à l’expérience entrepreneuriale. Que ce soit Roger qui lance son garage ou Charles-Étienne qui inaugure le prochain Facebook, j’accompagnerai les deux personnes avec la même énergie et la même foi en l’individu. Le vedettariat me donne la nausée. Je ne boirai jamais de cette eau, car je suis un puriste. J’ai trop de respect pour ma profession et pour l’entrepreneuriat pour avoir une vision dichotomique des projets d’affaires.

L’entrepreneuriat est un véhicule pour se réaliser en tant que personne. Je m’estime heureux de travailler avec une équipe qui croit que chaque projet mérite notre attention et nos ressources, notamment notre financement. J’aime dire que chez Futurpreneur Canada, nous travaillons à la construction d’une réelle démocratie entrepreneuriale. Sans doute est-ce cette vision humaniste de l’entrepreneuriat qui me porte et me mobilise au quotidien et qui, au final, fait en sorte qu’on m’appelle le thérapeute des entrepreneurs !

[1] http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/718022/entrepreneuriat-statistiques-quebec-global-entrepreneurship-monitor 

[2] http://affaires.lapresse.ca/pme/201610/05/01-5027546-quelle-est-la-part-des-pme-dans-leconomie-.php

Référence de l’image à la une

Jean-Philippe L'Écuyer

Jean-Philippe accompagne quotidiennement les entrepreneurs en démarrage d’entreprise. Il a aidé plus de 250 entrepreneurs à se lancer en affaires et a levé plus de 4,5 M$ en financement d’amorce. Coach professionnel, il est également titulaire d’un baccalauréat et d’une maîtrise en entrepreneuriat de HEC Montréal. Il est le fondateur de Vision et Mission, un blogue sur le démarrage d’entreprise.

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