Êtes-vous prêt à vous lancer en affaires ?
Vous êtes nombreux à vouloir sauter ! Se lancer en affaires, c’est le rêve de plus en plus de gens au Québec. Ce souhait est ancré profondément dans vos ambitions personnelles, vos idées, vos valeurs, votre créativité et votre motivation à mettre sur pied une entreprise qui vous ressemble vraiment.
Bien que plusieurs personnes chérissent le rêve de devenir entrepreneur, ce n’est malheureusement pas tout le monde qui ira de l’avant avec ce projet. De l’intention pure aux démarches concrètes, on perd environ 50 % des joueurs. Puis, de ce 50 %, seule la moitié arrivera à bon port en fondant une entreprise. En résumé, de l’intention à l’acte, on perd environ 75 % des joueurs ! C’est la réalité ! (FDE 2015)[1]
Au cours des dernières années, plusieurs initiatives ont été mises sur pied afin d’accélérer et de faciliter le passage à l’acte entrepreneurial. Or, il n’est pas évident de savoir à quel moment faire le grand saut. J’ai rencontré plusieurs entrepreneurs qui se questionnaient sur le bon timing pour eux. Est-ce que j’y vais maintenant ou j’attends ? Est-ce le bon moment ? Comment vais-je le savoir ? Est-ce que mon modèle d’affaires est assez solide ou dois-je encore le travailler ?
Bien entendu, je ne peux vous dire ici s’il s’agit du bon moment pour vous personnellement. Par contre, je vous propose d’explorer certaines pistes et certains pièges à éviter, afin que vous puissiez découvrir si le bon moment est effectivement venu ou non.
D’abord, attention aux fausses croyances !
Si vous portez en vous un rêve entrepreneurial, vous n’êtes probablement pas insensible aux histoires à succès. Les médias véhiculent actuellement d’innombrables récits d’entrepreneurs ayant réussi dans leur domaine. Ces récits sont inspirants. Ils en motivent plusieurs à aller de l’avant.
Toutefois, cette valorisation effrénée des succès entrepreneuriaux a également un effet pervers : le développement de fausses croyances au sein de la population. La plus répandue est, justement, celle qui touche au momentum du grand saut entrepreneurial. Selon cette croyance, il suffirait de rompre avec la peur du risque pour se lancer en affaires et connaitre du succès.
Cette fausse croyance est dangereuse, parce qu’elle envoie un faux signal à l’aspirant entrepreneur. Elle nie le fait que le niveau de préparation à une entrée dans la démarche entrepreneuriale varie grandement d’une personne à l’autre. De plus, elle est source de culpabilisation. J’ai très souvent discuté avec des aspirants entrepreneurs qui vivaient de l’anxiété en raison de cette fausse croyance. Ils me disaient par exemple : « Je sais que je ne devrais pas avoir peur », ou encore « Je me sens lâche de ne pas avoir déjà lancé mon entreprise ».
C’est un piège à éviter et malheureusement, plusieurs s’y font prendre. Le bon moment pour se lancer en affaires est propre à chacun. Il ne peut en aucun cas être dicté par un tiers. Il y a de nombreux éléments à considérer pour évaluer si une personne est effectivement prête à faire le grand saut : ses motivations, ses connaissances générales, son acuité sociale et culturelle, ses expériences antérieures, son estime et sa confiance, son environnement familial, son état de santé globale, sa compréhension du segment de marché à desservir et finalement, la solidité de son modèle d’affaires.
Vous vous demandez si le moment de vous lancer en affaires est venu ? Alors dites-vous que la réponse ne se trouve certainement pas dans les phrases toutes faites, et encore moins dans les conseils-minute. Prenez le temps de tourner le regard sur votre situation bien à vous. Toute grande question mérite une grande réponse !
Creusez l’origine de vos motivations
Il est possible que le frein à votre démarrage d’entreprise soit situé au cœur même de vos motivations à devenir entrepreneur. En coaching, nous utilisons une technique appelée le morcelage dans le but de remonter à l’origine des motivations entrepreneuriales. Certaines motivations sont plus riches, engageantes et porteuses que d’autres.
Par exemple, si vous souhaitez lancer votre entreprise pour éviter l’autorité patronale, pour devenir riche, pour compenser une perte d’emploi ou encore simplement pour suivre le courant entrepreneurial en vogue, ce ne sera pas suffisant. Vous n’aurez pas une énergie durable qui vous permettra de développer et de déployer un modèle d’affaires solide. Il est possible que ce soit précisément ce qui vous retienne à faire le grand saut.
Une motivation entrepreneuriale saine prend nécessairement racine dans une passion et dans une envie d’aventure. Le chemin pour bâtir une entreprise est long, sinueux, et il n’y a aucun panneau de signalisation. Si vous vous engagez sur cette route, elle doit donc profondément avoir du sens pour vous. Une motivation de surface ne suffira pas à vous faire passer à l’acte.
Plusieurs études ont démontré que les besoins d’accomplissement et d’autoréalisation étaient les éléments-clés d’une motivation entrepreneuriale saine et durable. Lorsqu’une motivation entrepreneuriale a une certaine ampleur chez une personne, elle lui donne alors assez de solidité pour passer à l’acte naturellement. Des actions concrètes en découlent. Ce processus ne se fait pas sans effort, mais il s’enclenche de lui-même. L’entrepreneur ressent alors un impératif par rapport à ses ambitions, et il pose ses premières actions concrètes pour réaliser son projet.
Si vous sentez qu’actuellement vous devez forcer les choses, c’est mauvais signe. Si c’est le cas, creusez et explorez vos motivations. Cela vous permettra de dénicher la motivation entrepreneuriale qui vous portera vers l’action, naturellement. Ce sera seulement à ce moment que le grand saut s’imposera de lui-même. Soyez patient. Parfois, ça demande du temps !
Reconsidérez votre définition de faire le grand saut
Que signifie réellement faire le grand saut ? Quand on y pense, on s’imagine nécessairement un entrepreneur entièrement consacré à son projet. Autrement dit, un entrepreneur à temps complet sur son projet. On admet rarement qu’il peut y avoir une phase de transition graduelle de mise en place du projet.
Or, la réalité prouve le contraire. Se lancer en affaires sans avoir préalablement mis en place les bases du projet d’affaires équivaut à un saut dans le vide sans parachute ! Il est important d’avoir commencé le projet bien avant de s’y consacrer à temps plein.
Le projet d’affaires débute dès qu’une première action concrète est posée. La recherche de données sur le marché, les rencontres des clients potentiels, le démarchage auprès des fournisseurs, le développement d’un prototype ou encore la mise en place d’une communauté Web ne sont que quelques exemples d’actions concrètes qui donnent réellement vie au projet.
Il est donc important de reconsidérer votre définition du grand saut entrepreneurial. Vous avez possiblement déjà fait ce grand saut sans même vous en être rendu compte. Si vous avez mis en place certains éléments et posé des actions concrètes, alors vous êtes effectivement en marche vers la réalisation de votre projet d’affaires.
À plusieurs reprises, j’ai dû faire comprendre à des entrepreneurs qu’ils ne stagnaient pas dans leur projet, mais plutôt dans une phase normale d’initiation. Une espèce d’entre-deux tout à fait justifié et sain pour le projet et pour son promoteur. C’est difficile de concevoir que quelqu’un puisse être entrepreneur malgré le fait qu’il occupe encore son emploi à temps plein. Pourtant, les projets les mieux réalisés sont ceux qui ont eu une phase de transition relativement longue.
Au final, ce que vous considérez être de l’inertie est potentiellement une simple phase d’amorce. Elle est à la fois normale, souhaitable et gage de succès. Peut-être avez-vous déjà fait le grand saut !
Les 4 indicateurs du momentum entrepreneurial
Vous aurez compris que chaque situation entrepreneuriale est unique, et que le bon moment pour se lancer est propre à chacun. Personne ne peut le décréter à votre place.
Ceci dit, il existe tout de même certains éléments tangibles qui se veulent un excellent indicateur de votre niveau de préparation à faire le grand saut. Ces éléments renvoient directement au niveau de maturité de votre projet d’affaires. Bien qu’il en existe plusieurs, nous en aborderons quatre ici :
1) l’offre de l’entreprise, 2) son modèle de revenu, 3) le réseau de l’entrepreneur et 4) la capitalisation potentielle de l’entreprise.
Le premier élément à regarder, c’est l’offre de votre entreprise. Est-elle clairement définie ? A-t-elle été minimalement peaufinée ? A-t-elle été validée par des préventes, par une liste d’adhérents ou par une communauté ? Aucun projet ne mérite qu’un entrepreneur s’y consacre à temps plein, tant et aussi longtemps que son offre de valeur n’est pas claire. L’entrepreneur qui se lance sans avoir en main une offre intéressante pour son marché perdra un temps précieux à développer cette offre. Les entrepreneurs qui se lancent sans avoir fait ce travail en amont reviennent presque tous sur le marché du travail en raison d’un manque de ressources. Ils ont épuisé leurs réserves personnelles parce que leur projet ne leur permettait pas de réaliser des ventes d’entrée de jeu.
L’autre élément à regarder, c’est votre modèle de revenu. Même si vous avez en main une offre intéressante pour le client ou l’utilisateur final, cela ne signifie pas que le projet mérite d’être déployé immédiatement. Au contraire ! Qui payera pour cette offre ? Combien lui coutera-t-elle ? Combien de ventes sont nécessaires pour minimalement couvrir vos frais ? Plusieurs entrepreneurs que j’ai accompagnés avaient une lacune au niveau de leur modèle de revenu. Dans des cas comme ceux-là, il est inutile, voire dangereux, de déployer le projet hâtivement. Si le test du modèle de revenu ne passe pas, alors ce n’est pas le bon moment. On retourne aux planches à dessin et on retarde le déploiement. C’est la bonne décision !
Pour qu’un projet soit réputé être prêt au déploiement, il doit être en mesure de mobiliser rapidement les personnes-clés dans les milieux critiques au succès du projet. Que ce soit des clients potentiels, des partenaires, des diffuseurs, des distributeurs, des ambassadeurs ou même des adhérents, l’entrepreneur doit avoir préalablement bâti un réseau fort et l’avoir mobilisé autour de son projet. Définitivement, ce n’est pas la première fois que vous l’entendez celle-ci, n’est-ce pas ? Le réseau, c’est important ! Bien entendu, mais encore ? Je vous propose ici de considérer votre réseau comme un indicateur du momentum entrepreneurial. Il peut vous indiquer si le moment de faire le grand saut est venu, ou non. Si vous vous posez la question à savoir si c’est le bon moment de vous lancer en affaires, demandez-vous simplement si votre réseau actuel est un actif qui catalysera le déploiement de votre projet. Si oui, de quelle façon précisément ? Votre réseau doit être ancré dans l’industrie de votre entreprise, et il doit être enthousiaste à l’idée de votre projet. Si vous hésitez, ce n’est probablement pas encore le bon moment. Votre réseau doit être dans le coup, et ce, bien avant que le déploiement ne s’enclenche. Si vous avez autour de vous des personnes qui vous ont témoigné le souhait de contribuer à sa mise en place, alors c’est un bon signe. Ça indique que le moment est potentiellement venu.
Le dernier élément à considérer, et non le moindre, c’est la capitalisation potentielle du projet. À cet effet, il faut recenser toutes les sources de financement potentielles pour votre projet d’affaires : vos économies personnelles (liquidités, RÉER, équité), les investisseurs potentiels de votre entourage proche (love money, équité, prêt), les investisseurs à l’extérieur de votre entourage (venture capital), les fonds en développement économique, le crédit-bail et le financement traditionnel (prêt à terme, marge de crédit).
Toutes ces options de financement devront être analysées en profondeur au moment de réaliser votre montage financier. Ceci dit, avant même d’en être rendu à cette étape, il vous faut les explorer afin d’évaluer la faisabilité du projet. Tant et aussi longtemps que le potentiel de financement de votre projet ne sera pas confirmé, ce ne sera pas le bon moment pour faire le grand saut. Ce serait précipité et risqué.
L’une des causes les plus fréquentes d’échec au démarrage est la sous-capitalisation du projet. Certains entrepreneurs font le grand saut trop hâtivement et se retrouvent par la suite avec un manque de liquidités et d’actifs. Le projet est alors paralysé et le promoteur est endetté. Ainsi s’enclenche le cercle vicieux de la sous-capitalisation : le manque de ressources paralyse l’entreprise et la paralysie de l’entreprise freine son potentiel de ventes. Moins de ventes, mois de ressources. Moins de ressources, donc impossible de gérer adéquatement le marketing et les opérations. Par conséquent, encore moins de ventes ! Vous ne voulez pas entrer dans cette spirale, croyez-moi !
Donc si on résume, une bonne pré-évaluation des besoins de l’entreprise et des sources de financement potentielles est un élément vital. C’est un indicateur de préparation au fameux grand saut.
Alors… êtes-vous prêt ?
Vous devez retenir que cette question est complexe et qu’elle mérite que vous preniez tout le temps nécessaire pour bien analyser votre situation personnelle. Si vous faites le grand saut, votre vie changera profondément, et ce, à plusieurs niveaux : heures de travail, tâches, implications émotionnelles, situation financière, niveau d’endettement, conciliation travail-famille et sentiment d’accomplissement. Ce n’est pas une décision à prendre à la légère. Elle demande un discernement, et par conséquent, du temps. Prenez le temps d’évaluer tous les éléments.
Je vous laisse donc baigner dans ces nombreux questionnements que j’ai soulevés au cours de cet article. Ceci dit, je ne vous laisse pas tout seul avec vos questionnements. Je vous offre ce petit outil de réflexion pour vous aider. Prenez le temps de le remplir. Vous constaterez rapidement à quel point il peut être efficace malgré sa simplicité.
Bonne réflexion !
Jean-Philippe L’Écuyer, M. Sc.
Entrepreneur en résidence – Futurpreneur
Sources
Boughattas, Y., Bayad, M. (2008)
Métier d’entrepreneur : Étude exploratoire pour identifier et évaluer les compétences
Congrès de l’AGRH, 2008
Entrepreneurial Readiness and Firm Growth: An Integrated Etic and Emic Approach
VP Lau, MN Dimitrova, MA Shaffer, T Davidkov, DI Yordanova—Journal of International Management, 2012—Elsevier
Fondation de l’entrepreneurship, IE 2015 : http://www.entrepreneurship.qc.ca/indice2015
Rauch, A., & Frese, M. (2000). Psychological approaches to entrepreneurial success. A general model and an overview of findings. In C.L. Cooper & I.T. Robertson (Eds.), International Review of Industrial and Organizational Psychology (pp. 101-142). Chichester : Wiley.
[1] Fondation de l’entrepreneurship, IE 2015