Comment bâtir un modèle d’affaires solide?

On entend souvent dire que l’aventure entrepreneuriale commence par une bonne idée. Il suffit de trouver une niche, et voilà, on a mis le doigt sur quelque chose !

Bien qu’il ne faille pas nier l’importance de l’idée d’affaires, c’est insuffisant ! La bonne idée ne suffit jamais à créer un modèle d’affaires viable et encore moins, un modèle d’affaires rentable. Le fait de développer un modèle d’affaires qui tienne la route requiert beaucoup plus d’intrants qu’une bonne idée ou un bon concept.

Une bonne idée d’affaires est toujours le fondement d’un bon modèle d’affaires. Toutefois, pour qu’une entreprise voie le jour, un modèle d’affaires soutenable doit être développé, dans le cadre d’une démarche d’actions-ajustements. Cette démarche peut prendre du temps et l’entrepreneur doit lui consacrer toutes les énergies nécessaires.

Dans cet article, je vous offre une vue sur les grands jalons de la démarche de développement d’un modèle d’affaires soutenable. Chaque entrepreneur traverse ces étapes-clés à sa manière, et ce, avec plus ou moins de réticence, d’ouverture ou d’enthousiasme. Mon rôle d’accompagnateur-conseil est d’aider chaque entrepreneur à traverser ces étapes charnières afin qu’il ou elle développe un modèle d’affaires solide.

1.Le choix de l’industrie et du secteur d’affaires

Il est possible de développer des modèles d’affaires novateurs dans toutes les industries. Quel que soit le secteur d’affaires, il est toujours possible de développer un modèle d’affaires soutenable, à condition de bouleverser certains standards. Même l’industrie de la restauration offre encore des opportunités de modèles d’affaires à fort potentiel. Vous l’aurez compris, aucun secteur d’affaires ne mérite d’être exclu d’entrée de jeu lorsqu’on souhaite développer un bon modèle d’affaires.

Ceci dit, il faut comprendre que certains secteurs offrent un meilleur potentiel que d’autres. Certains écosystèmes sont en développement et accusent une croissance naturelle spectaculaire. Parmi eux, on retrouve tout ce qui touche aux technologies, à la santé humaine, aux services de proximité et à l’environnement. L’entrepreneur qui œuvre dans l’un de ces secteurs aura souvent accès à des offres de soutien supplémentaires ainsi qu’à des grappes industrielles fortes. Le maillage devient alors plus facile et le développement de sa PME est alors catalysé.

L’entrepreneur qui est en processus d’élaboration de son modèle d’affaires se doit d’explorer différents secteurs d’affaires afin d’évaluer le potentiel de chacun. Il faut comprendre que le secteur d’affaires constitue une variable à part entière du modèle d’affaires. Quand on élabore un modèle d’affaires, il est parfois nécessaire de changer de secteur d’affaires. Cela peut se produire au tout début du processus, mais parfois, on voit un changement de cap en bout de piste.

2. L’alignement sur les macro tendances

Pour qu’un modèle d’affaires soit viable et rentable, il doit être de son époque ! Cela peut paraitre évident, mais c’est pourtant l’une des fautes les plus fréquemment commises par les entrepreneurs. Il existe plusieurs grandes tendances sur lesquelles doit s’aligner un modèle d’affaires pour être soutenable. Plusieurs entrepreneurs n’en tiennent pas compte.

Prenons un exemple simple pour bien comprendre de quoi il s’agit : le cas de l’achat en ligne. Personne ne contestera le fait que les modes de distribution convergent actuellement vers l’achat en ligne, malgré un retard important du Québec dans le domaine. Or, un entrepreneur qui présente un modèle d’affaires dont la distribution passe par des espaces physiques va à contrecourant. Un tel mode de distribution se bat contre une tendance lourde et perd nécessairement en efficacité et en rentabilité.

Alors, pour quelle raison un entrepreneur développerait-il une entreprise calquée sur le modèle des concurrents déjà en place ? Pourquoi reprendrait-il ce qui a déjà été fait, au lieu de réviser les standards de l’industrie ? La réponse est toute simple, et elle se trouve dans la psychologie. Cognitivement, il est plus facile de concevoir le futur à partir de schèmes existants. L’entrepreneur tombe fréquemment dans ce piège en reprenant plusieurs éléments déjà en place dans l’industrie pour compléter la conception de son modèle d’affaires.

Or, l’entrepreneur doit s’entrainer à briser ces représentations afin de voir de nouvelles possibilités, sans quoi le modèle d’affaires sera faible. Ce n’est pas ce qu’on souhaite ! L’entrepreneur doit se positionner comme un leader des nouvelles tendances dans son industrie. C’est ce qui lui permettra de créer un modèle d’affaires novateur, et par conséquent rentable. C’est une loi en démarrage d’entreprise, pour qu’un modèle d’affaires soit solide, il se doit d’être parfaitement aligné sur les nouvelles tendances de l’industrie.

3. Le prototypage épuré

Avant même d’être en mesure de vendre, il faut donner vie à son offre. Il est nécessaire d’avoir en main l’embryon de ce qui deviendra le produit ou le service de l’entreprise. C’est ce qu’on appelle le prototypage.

Ne vous méprenez pas ! Le terme prototypage peut sembler être spécifique aux projets technologiques, mais ce n’est pas le cas. Il s’applique à tous les projets d’affaires. Par prototype, on entend à la fois une version préliminaire d’un logiciel, un petit pot de crème pour les pieds ou encore un rapport d’évaluation que remettra un évaluateur agréé à son client. Vous l’aurez compris, le prototype est tout simplement la première version tangible de l’offre d’une entreprise. Pour la première fois, on a entre les mains la mission même de l’entreprise. Ça devient concret !

Le processus de prototypage doit être efficient. Il faut à tout prix éviter de s’enliser dans le prototypage. Cette étape comporte un risque important, car elle consomme des ressources sans en générer en contrepartie. Elle doit être bien gérée, sans quoi la viabilité du projet est en péril.

À ce stade, plusieurs entrepreneurs font que j’appelle du fat prototyping, par opposition au lean prototyping. Autrement dit, les entrepreneurs ont tendance à modéliser un prototype trop couteux en ressources et en temps. Il s’agit d’un réflexe normal, car ils souhaitent développer de façon tangible ce qu’ils visualisaient initialement. C’est là que j’interviens. Mon rôle est alors de réaligner le tir, afin que l’entrepreneur développe un prototype le plus efficacement possible. L’objectif ultime est d’avoir en main l’offre minimale acceptable pour son marché, pour ensuite être en mesure de la valider. Si la réponse est positive, on enchainera rapidement avec une première phase de commercialisation. Si ce n’est pas le cas, on retournera aux planches à dessin !

4. La validation de l’offre

La pertinence même d’un projet d’affaires est déterminée par le verdict du marché cible. Au final, c’est simple comme bonjour ! Si les gens veulent acheter le produit ou le service, c’est parti ! Sinon, c’est terminé ! C’est aussi simple que cela ! Aucun projet d’affaires ne recevra du financement s’il n’a pas démontré un minimum de viabilité. Il s’agit de l’étape-clé suite à laquelle tout se mettra en place naturellement.

Tout comme c’est le cas lors du prototypage, la validation doit se faire dans un souci d’économie de temps et de ressources. Plus on se rend rapidement et efficacement au client final, plus le projet a des chances de réellement voir le jour.

Encore ici, mon rôle d’accompagnateur m’oblige souvent à couper dans le gras. Plusieurs entrepreneurs alourdissent inutilement leur phase de validation en visant trop haut, trop gros, trop tôt ! C’est ce que j’appelle la fameuse mégalomanie d’amorce, qui affecte principalement deux éléments : le réseau de distribution et la force de vente.

En ce qui concerne le réseau de distribution, les entrepreneurs auront tendance à cibler immédiatement les grandes chaines de magasins, les marques connues ou encore les réseaux de distributeurs. Dans une phase de validation, on souhaite plutôt amorcer les ventes sans se bruler après des partenaires-clés de distribution. L’objectif est donc de dénicher des réseaux de niche et d’obtenir un maximum de rétroaction sur son offre. Je mentionne toujours aux entrepreneurs de se rappeler qu’à cette étape, on ne souhaite pas conquérir le marché, mais plutôt tenter de s’infiltrer prudemment. La conquête viendra à qui sait attendre !

En ce qui concerne la force de vente, on verra des entrepreneurs sortir artifices et canons dans le but d’envahir le marché. Engager un représentant, faire une campagne de publicité ou gérer les relations de presse sont les trois erreurs classiques. À ce stade, il est encore nécessaire d’être prudent et surtout, axé sur la collecte de rétroactions. Les entrepreneurs ont souvent hâte de voir des résultats, et ils croient à tort qu’il suffit d’injecter des ressources dans la force de vente pour que s’écoulent les produits ou les services de l’entreprise. À vrai dire, une telle manœuvre sera utile dans une seconde phase de commercialisation, mais pas à l’étape de la validation. Bien au contraire. Encore une fois, la conquête viendra au conquérant patient !

5. La planification stratégique et le fit visionnaire

Le couronnement du développement d’un modèle d’affaires solide est sans équivoque la planification et le fit visionnaire. Cette étape est cruciale afin que le modèle d’affaires entre de plain-pied la phase de déploiement.

Pour réellement parler de modèle d’affaires, il est nécessaire qu’il y ait anticipation d’un futur pour le projet en devenir. Il est nécessaire qu’il tende vers une transformation en entreprise pérenne.

À ce stade, l’entrepreneur doit revenir à sa vision d’affaires initiale. Il est primordial qu’il se reconnecte à cette vision, car elle contient ses motivations les plus profondes et les plus mobilisatrices. Ceci dit, les apprentissages provenant des étapes de conception et de validation du modèle d’affaires doivent maintenant être intégrés à même sa vision. Cela signifie qu’il faut désormais transformer la vision d’affaires en planification stratégique détaillée. Cette planification rendra compte de l’identité du modèle d’affaires et aussi, dressera l’ébauche du futur de l’entreprise. On aura en main un plan de route, c’est-à-dire quelque chose de concret à quoi s’accrocher pour amorcer le déploiement. À ce moment, l’entrepreneur peut dire pour la première fois qu’il a entre les mains un modèle d’affaires solide !


Développer un modèle d’affaires solide : architecture, ingénierie ou art ?

Il est vrai que le fait de développer un bon modèle d’affaires est un exercice laborieux et complexe. Toutefois, cela ne doit en rien décourager l’aspirant entrepreneur, bien au contraire. L’exercice se révèle au fur et à mesure qu’on s’y prête.

Mais que peut-on conclure sur la nature même de cet exercice ? De quoi relève-t-il ? De la science ou de l’art ? S’il est vrai que l’analyse de son marché et de son industrie a des fondements scientifiques, il faut comprendre que la démarche en est une créative. Le développement d’un modèle d’affaires solide requiert à la fois une rigueur scientifique et un engagement créatif. L’un ne va pas sans l’autre. L’exercice force un mariage entre deux mondes qui semblent trop souvent parallèles : la science et l’art !


Jean-Philippe L’Écuyer, M. Sc.
Entrepreneur en résidence – Futurpreneur


DESJARDINS Études économiques, Noreau, Joëlle, Quels sont les secteurs d’avenir au Québec ?, Volume 23, Avril 2013

FILION, Louis-Jacques, ANANOU, Claude, De l’intuition au projet d’entreprise, Les Éditions Transcontinental, 2010, 517 p.

RIES, Éric, The Lean Startup: How Today’s Entrepreneurs Use Continuous Innovation to Create Radically Successful Businesses 2011, Crown Business, 336 p.

Jean-Philippe L'Écuyer

Jean-Philippe accompagne quotidiennement les entrepreneurs en démarrage d’entreprise. Il a aidé plus de 250 entrepreneurs à se lancer en affaires et a levé plus de 4,5 M$ en financement d’amorce. Coach professionnel, il est également titulaire d’un baccalauréat et d’une maîtrise en entrepreneuriat de HEC Montréal. Il est le fondateur de Vision et Mission, un blogue sur le démarrage d’entreprise.

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