La saison des cœurs brisés: 5 « patterns » toxiques en entrepreneuriat

C’est la rentrée ! L’été a permis aux idées et aux ambitions entrepreneuriales de mûrir. De nouveaux projets déferlent actuellement dans mon bureau et vous, entrepreneurs, êtes complètement en feu ! Vous êtes beaux à voir ! Eh… que je vous adore dont !

Je ne saurais dire si c’est à cause de la rentrée, des récentes vagues de chaleur ou encore parce que Saturne est en maison III (je n’en sais rien au fait), mais j’ai eu à annoncer de mauvaises nouvelles à répétition ces derniers temps. Dans mon rôle d’accompagnateur, je dois parfois faire comprendre à l’entrepreneur que l’état actuel de son projet n’est pas viable. C’est très confrontant pour l’entrepreneur qui y a investi toute son âme. C’est ce que j’appelle la partie brise-cœur de mon travail. D’une part, je brise le cœur de mon client et d’autre part, ça brise le mien d’avoir à le faire.

Mais qu’est-ce que signifie exactement le rôle brise-cœur d’un accompagnateur en démarrage ? Concrètement, on parle ici de situations spécifiques. Ce sont des cas de figure où il faut revoir le projet dans son ensemble. Tel quel, le projet ne passe pas le test de la viabilité. L’entrepreneur n’obtiendra aucun financement et s’il décidait par malheur de s’autofinancer, il foncerait tout droit dans un mur. Ceci dit, il est important de distinguer ces cas des situations plus courantes où je conseille l’entrepreneur dans le but d’améliorer son modèle d’affaires, sa planification ou ses habiletés entrepreneuriales. Les cas brise-cœurs sont dans une catégorie à part. Ils se distinguent par une non-viabilité du projet. On doit tout effacer et recommencer.

Ces derniers temps, j’ai eu à jouer ce rôle crève-cœur un peu trop à mon goût ! Pour moi, il est clair qu’un billet sur le sujet s’imposait afin de mettre en lumière les principaux patterns qui conduisent à ce type de situation. Ce sont des pièges classiques dans lesquels certains entrepreneurs tombent et qui inhibent le déploiement de leur projet d’affaires. J’ai recensé 5 patterns toxiques que je vous partage ici. Une fois que vous les aurez bien compris, je n’aurai plus besoin de vous briser le cœur et ce sera tant mieux pour tout le monde !

Pattern #1 : Gonfler l’échelle du projet

Avoir un coût de démarrage trop élevé est la meilleure façon de vous assurer un brise-cœur. Plusieurs entrepreneurs ont tendance à financer leur vision d’affaires plutôt que leur démarrage. C’est un piège classique dans lequel beaucoup se coincent.

Ce pattern est sournois, car il se met en place sans que l’entrepreneur s’en rende compte. À mesure qu’il travaille sur sa validation et sur la rédaction de son plan d’affaires, l’entrepreneur focalise sur sa vision d’affaires à long terme. Il est souhaitable de réfléchir le projet dans une perspective à plus long terme, mais le risque que ça biaise le coût de démarrage demeure. Il y a un océan entre le coût de démarrage d’un projet et l’ampleur de la PME qui sera en place dans cinq ou même dix ans. Il est donc important de financer les opérations initiales et non le projet à long terme. C’est ce qui est le plus difficile à faire comprendre aux entrepreneurs en démarrage.

Quand un projet a un coût de démarrage trop élevé, il devient carrément impossible à financer. Aucun bailleur de fonds n’acceptera un coût de projet trop élevé, car ça irait à l’encontre de la logique entrepreneuriale elle-même. L’objectif d’une démarche entrepreneuriale est de se rendre au marché et de viabiliser les opérations initiales avec le minimum de ressources possibles. Un coût de projet trop élevé dénote une incapacité de l’équipe entrepreneuriale à appliquer cette logique.

Vous avez un coût de projet trop élevé ? Ce n’est pas la fin, mais il faut accepter de revoir les variables de votre modèle d’affaires initial. Il vous faut accepter de vous poser certaines questions. Qu’est-ce que vous voulez créer comme valeur pour votre client ? De quoi avez-vous besoin pour y arriver ? Comment pourriez-vous créer autant de valeur avec des ressources différentes, moins coûteuses ? Alors, prenez un tableau et un Sharpie et écrivez. Repensez, reconstruisez, redéfinissez. C’est faisable, mais ça demande d’abord à l’entrepreneur d’accepter que l’échelle du projet soit trop grande pour que sa réalisation soit possible pour l’instant.

Pattern #2 : Avoir une offre commune sur un marché saturé

J’ai la chance de travailler pour une organisation qui finance les démarrages d’entreprises dans toutes les industries. Futurpreneur Canada aide les entrepreneurs de tous les milieux, sans exception. Or, j’ai accompagné des projets œuvrant dans des secteurs extrêmement concurrentiels. Ceci dit, pour réussir un démarrage dans une industrie saturée, il faut mettre en place une offre qui se démarque réellement de la concurrence.

Lorsqu’on me présente un projet d’affaires destiné à un marché saturé avec une offre des plus communes, c’est malheureusement un cas brise-cœur. Sans doute le pire des cas ! Pourquoi ? Parce que mon rôle est alors de faire comprendre à l’entrepreneur que son projet n’a rien de spécial. Rien du tout même ! Imaginez un instant. Toutes les ambitions et la passion d’une personne cristallisées dans un projet de restaurant des plus communs. L’entrepreneur va mourir de faim avec ce projet, à moins de manger ses inventaires ! Dans ma profession, on apprend à annoncer ce genre de mauvaises nouvelles, mais on reste toujours sensible à l’individu.

Comment se retrouve-t-on dans un tel pattern ? La réponse est simple, l’entrepreneur focalise toute son énergie sur ses intérêts personnels. Il ou elle souhaite tellement devenir l’heureux propriétaire d’un restaurant, d’une boutique ou d’un spa, que le processus d’innovation est tout simplement écarté de la démarche de lancement d’entreprise. Le projet devient banal et peu concurrentiel.

Vous êtes pris avec une offre commune destinée à un marché saturé ? Pas de panique ! Demandez-vous comment servir le client différemment. Remettez en question tout ce que fait la concurrence. Pourquoi autant d’employés ? Comment améliorer l’efficacité ? Comment amener l’expérience client à un autre niveau ? Que veut réellement le client ? Comment donner réponse à son besoin autrement ? A-t-on réellement besoin d’un espace physique ? Ne tenez rien pour acquis ! La seule façon de vous démarquer dans une industrie saturée, c’est en changeant une pratique que la concurrence a tenue pour acquise.

Pattern #3 : Convoiter un marché trop restreint

La segmentation et le ciblage sont les notions-clés du marketing, mais également des lois fondamentales en démarrage d’entreprise. Qu’est-ce que ça signifie ? Qu’il faut être le plus précis possible quand on définit notre client type ainsi que la manière de lui parler de notre offre. Autrement dit, notre produit ne s’adresse jamais à tout le monde. On s’adresse toujours à un groupe bien spécifique.

Le principal défi, pour un accompagnateur en démarrage comme moi, c’est d’amener l’entrepreneur dans cette logique de segmentation de son marché. Ceci dit, il est possible de se retrouver à l’extrême opposé et d’avoir défini un client cible trop marginal pour que le projet soit rentable. C’est possible.

Prenons un exemple. Vous lancez une application mobile qui s’adresse à un marché potentiel de 100 000 personnes. Vous anticipez que 40 % d’entre eux se la procureront, donc on parle de 40 000 personnes. Si cette application coûte 4 $ via l’App Store, alors vous aurez des ventes de 160 000 $. C’est insuffisant pour justifier la viabilité d’une entreprise. Ce n’est même pas suffisant pour justifier une année de son chiffre d’affaires.

Dans un tel cas, vous avez deux possibilités. La première est de revoir votre stratégie de prix. Est-ce que votre client type est prêt à payer davantage pour cette application exceptionnelle ? Est-ce qu’un modèle de revenus basés sur différents niveaux de services et des prix échelonnés est envisageable ? Cela peut faire basculer votre revenu potentiel de 160 000 $ ponctuellement à 20, 30 ou même 40 000 $ mensuellement. Ça fait toute la différence, car vous avez alors en main un modèle de revenus viable. Si le client type n’accepte pas de payer plus de 4 $ à l’achat, sans paiement périodique supplémentaire, il vous reste deux possibilités. Vous pouvez cibler le même segment dans d’autres marchés ou encore, tenter de modifier les fonctionnalités de votre application pour qu’elle rejoigne un plus grand public. Parfois les deux options sont possibles simultanément. D’autres fois, seule l’une d’entre elles est possible. Si aucune de ces options n’est envisageable, vous devez faire demi-tour. Ce projet ne pourra pas voir le jour.

Pattern #4 : Minimiser la dimension communautaire

Tout projet d’affaires a une dimension communautaire. L’entreprise développe et entretient des liens avec différentes communautés, que ce soit au niveau de la clientèle, des acteurs de l’industrie ou des partenaires. Or, pour certains projets, la dimension communautaire est beaucoup plus importante. C’est le cas notamment des plateformes de type marché biface. Pour arriver à démarrer un projet de cette nature, il faut un solide ancrage dans les communautés concernées. J’appelle ces projets des modèles d’affaires à ancrage communautaire.

Or, certains entrepreneurs développent un modèle à ancrage communautaire tout en minimisant la dimension communautaire. Certains ont tendance à croire qu’un coup de marketing brutal lors du lancement suffira à mobiliser et à engager toute une communauté d’un seul coup.

Cette idée relève du fantasme entrepreneurial. Un projet de nature communautaire nécessite une mobilisation de la communauté en amont. Cela peut prendre des mois, voire des années. De tous les patterns, celui-ci est malheureusement sans issue à court terme. L’entrepreneur qui conduit un projet de cette nature et qui n’a pas préalablement mobilisé sa communauté n’est pas prêt à démarrer officiellement. Il doit prendre le temps de revenir à la base et d’engager sa communauté autour des bénéfices associés à son offre. Une fois ce travail réalisé, le projet pourra avancer d’un pas, mais pas avant.

Pattern #5 : Bâtir un faux MVP

Qu’est-ce qu’un MVP (Minimum Viable Product) ? C’est tout simplement l’offre minimale viable de l’entreprise. Que ce soit un produit, un logiciel ou même un service, on parle de MVP lorsqu’on a en main une offre fonctionnelle qui est prête à être vendue au client final.

Certains projets demandent beaucoup plus de travail au stade du développement de l’offre minimale viable (MVP). Alors qu’il suffit de trouver un local et d’acquérir des équipements pour lancer un café, c’est une tout autre histoire dans le cas d’un nouvel appareil de conditionnement physique. Comment fonctionnera-t-il ? Quelles pièces seront nécessaires ? L’approvisionnement permettra-t-il de vendre à un coût acceptable pour le client ? Est-ce qu’il y a des risques pour l’utilisateur ? Est-ce que ça répond réellement à un besoin chez le client ?

Tant et aussi longtemps que vous n’aurez pas en main un MVP, on dira que vous êtes au stade du prototypage. Certains entrepreneurs font l’erreur de lancer leur projet alors qu’ils sont encore à ce stade préliminaire. Il s’agit d’un autre pattern dans lequel certains glissent sans même s’en rendre compte. Après un travail acharné de prototypage, les promoteurs ont tendance à croire qu’ils ont finalement en main le fameux MVP. Or, ce n’est pas toujours le cas. Tant que le produit ou le service final n’aura pas été testé auprès du consommateur final, ce ne sera qu’une simple invention.

Aujourd’hui, il existe plusieurs moyens pour transiter facilement du prototype au MVP. Outre les éléments techniques à considérer, le sociofinancement est un outil extrêmement puissant pour démontrer la viabilité d’une innovation. D’une part, cet outil permet de prouver l’intention réelle d’achat des clients. D’autre part, il finance votre projet. En tant qu’accompagnateur en démarrage, laissez-moi vous dire qu’un tel outil est une merveille. C’est très excitant pour moi tout ça ! D’autres moyens existent également pour passer du prototype au MVP. Au final, ce n’est pas tant le moyen que le fait d’avoir en main un MVP qui compte réellement !

Évitez les patterns toxiques, préservez votre cœur et le mien!

Nous venons de passer en revue les 5 patterns classiques qui nuisent le plus aux entrepreneurs en démarrage. Ce sont les patterns que j’ai le plus fréquemment observés dans ma pratique, mais également ceux qui conduisent à des retours en arrière les plus éprouvants pour les promoteurs.

Vous commencez à me connaître et potentiellement, à comprendre l’objectif que je poursuis. Je blogue pour faire la lumière sur les pièges et les bonnes pratiques en entrepreneuriat. Je cherche à vous éviter des pertes de temps et des erreurs coûteuses. Ma paie, c’est de voir des entrepreneurs réussir leur démarrage et mettre en place une entreprise qui profitera à la collectivité et à l’économie locale. Contribuer à notre société, un entrepreneur à la fois. Alors, rendez-moi heureux et foncez, tout en évitant les patterns toxiques !

Jean-Philippe L'Écuyer

Jean-Philippe accompagne quotidiennement les entrepreneurs en démarrage d’entreprise. Il a aidé plus de 250 entrepreneurs à se lancer en affaires et a levé plus de 4,5 M$ en financement d’amorce. Coach professionnel, il est également titulaire d’un baccalauréat et d’une maîtrise en entrepreneuriat de HEC Montréal. Il est le fondateur de Vision et Mission, un blogue sur le démarrage d’entreprise.

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